samedi 27 décembre 2008

Histoire des tambours Batá de l'ile de Cuba: - 10 - Andrés Chacón "Pogolotti", Tambor Lucumy (3 cds) et Les Processions des Cabildos Lucumí de Regla

Très récemment, et grâce à notre ami Barry Cox, nous avons découvert ce triple album de musique yoruba qui a considérablement ouvert nos perspectives de connaissance du style propre à Marianao, plutôt limitées jusque là. Autant l'annoncer franchement: cet enregistrement a tout simplement changé notre vision des batá havanais, tant il constitue un grand bol d'air frais dans le paysage discographique de la musique yoruba de Cuba de ces dernières années.

Nous allons dans cet article évoquer longuement à la fois:
-ce disque indispensable, enregistré en 2001 et sorti en 2006, mais que nous n'avons pas eu la chance d'écouter avant aujourd'hui, et
-les processions des cabildos lukumí de Regla, auxquelles Andrés Chacón a maintes fois participé, à la fois avec le "tambour" de Miguel Somodevilla et avec celui de Pablo Roche, puis de Jesús Pérez dans les années 1950.

Ce disque (un coffret de 3 cds) est édité par Middlepathmedia (MPM003): Andrés Chacón y el Grupo Iré-Iré, "Tambor Lucumy". Il constitue un enregistrement unique à plusieurs points de vue:
1° Il est un des rares documents disponibles sur le style de batá de Marianao.
2° Il contient un répertoire de chants peu, voire jamais enregistrés.
3° Il constitue le testament musical d'Andrés Chacón Franquiz, l'un des tambourinaires les plus intéressants de La Havane, disparu en 2001, peu après l'enregistrement du disque.
4° Son livret comprend des interviews d'Andrés Chacón par Ivor Miller qui contiennent des informations capitales sur l'histoire des tambours batá havanais, que l'on peut retrouver dans leur intégralité sur afrocubaweb, et qui nous aideront à compléter notre article sur les anciens bataleros havanais (voir histoire des tambours batá - 4). Ce sont les informations apportées par ce triple cd nous ont conduit à effectuer une recherche plus élargie sur l'un des sujets évoqués dans les interviews d'Andrés Chacón: les processions des cabildos lucumí de Regla.

Un autre cd d'Andrés Chacón et de son groupe Iré-Iré (à ne pas confondre avec le groupe de Luis Chacón Mendivel "Aspirina" qui se nomme Alafia Iré), était sorti un peu plus tôt, en 2000, avec les mêmes musiciens, chez Lila Music, un obscur label. Mais le répertoire joué et chanté de ce premier cd est loin d'avoir le même intérêt que le triple cd qui nous intéresse ici.

Le contenu des trois cds et l'intérêt du répertoire:

Les percussionnistes:

-Andrés Chacón Franquiz "Pogolotti"
et ses deux neveux jumeaux
-Alián "Chacón" Valdés Martínez
-Adrián "Chacón" Valdés Martínez

le jeune percussionniste gaucher:
-Yenier "Zurdo" Estevez Chirino
et
-Lázaro "Lachi" Leyva Martínez
-Jimiel Estevez Chirino


Les chanteurs:

-Jesús Gilberto "El Corto" Zayas La Barrera
que nous avons déjà pu entendre dans de nombreux enregistrements, dont la série des 16 albums d'Abbilona (sinon des 24, pour ceux qui ont eu la chance d'entendre les derniers avant qu'ils ne soient édités). "El Corto" est le frère d'
Alexis Zayas Rosabal (demi-frère, comme son nom de famille semble l'indiquer), un autre grand chanteur de folklore yoruba qui, après avoir chanté de nombreuses fois avec le "tambour" d'Alberto Vilarreal, vit aujourd'hui aux USA, et le fils de:

"Candito" Zayas, autre (très) grand chanteur de yoruba et ex-membre du Conjunto Folklórico Nacional.

-Pedro Israel González Junco-
un étonnant chanteur de güiro, une réelle découverte, qui possède de nombreux atouts; talent, connaissance, voix…

Les choristes:

-Naivi Angarica
de la célèbre famille de musiciens santeros, et que l'on a déjà pu entendre en soliste dans le premier album d'Iré-Iré ou dans quelques albums d'Abbilona
-Lázaro Aguiar Cairo
-Lucia Tapia
-Ivan Rodríguez
et
-Yuleixis "Yuco" Asan Trujillo
s'agit-il d'un homme ou d'une femme: il y a trois personnages féminins sur la photo ci-dessus, et 10 musiciens pour 13 cités sur le disque.
Nous avons sollicité l'aide d'Ivor Miller pour identifier tous ces gens - espérons qu'il pourra nous aider.

Un jeu de batá aberikulá a été spécialement construit pour l'enregistrement de ce disque. Il s'agit probablement des tambours figurant sur les photos ci-dessus, de très gros tambours, manifestement.

L'intérêt des pièces yoruba chantées est le même que dans les enregistrements d'Abbilona: le format "commercial" des morceaux habituels dans les disques antérieurs au projet Abbilona (5 mns par morceau) est abandonné au profit de ce qui correspond plus à un contexte traditionnel:
1- des plages longues (entre 7 et 19 minutes)
2- des chants répétés six, sept, huit fois ou plus, comme dans un wemilere ayant pour but de faire "descendre le Saint"
3- une utilisation de tambours traditionnels, non-consacrés, mais pas "à clés" comme dans trop d'anciens enregistrements, avec un son authentique et réaliste
4- la gestion des toques par les tambours, sur des durées plus longues, est plus intéressante: les conversations, les vires, les changements de toque, la gestion du tempo sont plus réalistes et instructives pour des apprenti-tambourinaires que dans des plages de 5 mns.

Le contenu des cds:

- CD1 -

-Eleguá (11.48) akpwón Jesús "El Corto" Zayas
toque Latopa:
Oko okán Oddara / Ago Eleguá o iya re / Echú o Oddara /
Echú Aye o, Echú Bara la iwo dé / Kiriña kiriña ago kiriña /
Ago ago, ago ago / Ago ilé ago / Eleguá ago Lona fú a wá /
O ya, o ya, o ya / Eleguá ago i mo yuba Eleguára /
Soke maddo dumare (chant pour Ogún) /

À propos des chants pour Eleguá:

Parmi ces chants, nous en avons sélectionné trois, et tout d'abord noté le suivant, déjà entendu (une seule fois dans un oro cantado, en cérémonie) mais jamais enregistré auparavant à notre connaissance, et considéré par Lázaro Pedroso comme ne faisant pas partie du répertoire associé au toque Latopa. Pour lui, ce chant est "nouveau", et probablement issu du répertoire chanté "à la campagne", sur d'autres tambours que sur les batá, donc:

akpwón:
Ago Eleguá lo iya re (bis)
Echú Oddara Eleguá lo iya re
coro: id.
akpwón:
Echú Oddara Eleguá lo iya re
coro: id.

Lázaro Pedroso nous a aidé à traduire ce chant inconnu pour lui:
Ago Eleguá: permettez à Eleguá
Lo iya re:
de briser (lo) la tragédie (iya) (pour la transformer en) (i-)re (bien)
Echú Oddara Eleguá lo iya re - Echú l'accomplisseur-de-merveilles, Eleguá transforme le mal en bien.

Le second chant, qui suit, est un chant "de güiro", qui doit (comme la plupart des chants de güiro) se jouer sur les batá avec ñongo, mais est joué ici avec Latopa, ce qui est également un apport moderne:

akpwón:
Echú o Oddara (bis)
Oddara ma gbe Echú, ma gboni o yá re
coro: id.
akpwón:
Ma gboni o yá re (bis)
coro:
(Ma gbe) Echú o ma gboni o yá re

Jesús Lorenzo "Cusito" Peñalver
Photo: Kenneth Schweitzer

Ce chant - nous dit Lázaro Pedroso - très utilisé dans le güiro - (mais enregistré par Jesús "Cusito" et Abbilona avec le toque de batá Latopa) exprime assez clairement que:

Eleguá ma (toujours) gbe (est) Echú,
ma gboni (toujours aujourd'hui)
(il est bien) re (bien)

soit:
"Eleguá l'Accomplisseur-de-merveilles (bis),
l'Accomplisseur-de-merveilles est toujours Echú, et,
jusqu'à aujourd'hui, bien et en bonne forme"

Nous avons là le cas d'un "canto de reafirmación", renforçant l'idée exprimée par le premier chant.

Le chant suivant dans l'enregistrement est pour nous totalement inédit:
akpwón:
Echú Ayé o, Echú Bara la iwo dé
coro: id.

Ce chant pourrait logiquement signifier que:
Echú Ayé (l'un des nombreux Eleguá, celui qui "a cent un cauris" et vit dans un coquillage, comme un bernard-l'ermitte)
o (le "o" en fin de proposition est emphatique)
Echú Bara (Echú la Puissance) (ouvre le chemin)
Igwo ("toi" emphatique) (arrives)

soit:
Ô Echú Ayé
Echú le Puissant, en ouvrant le chemin Tu arrives

La présence du chant "Soke maddo dumare" pour Ogún dans un répertoire pour Eleguá est étonnant, mais nous avons déjà constaté cet emploi à Camagüey. Encore une fois, il s'agit d'un élément moderne en milieu urbain, probablement "ramené de la campagne", sinon de la province.

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-Ogún (4.50) akpwón Jesús "El Corto" Zayas
toque a Osáin 3e vire (iyesá):
Ogún Baba Ire, Baba Arere Ogún-Ogún-Ogún /
Kwa o, kwa o, kwa o, Arere kwa o kwa o / (retour au 1er chant) /
Wa mo le ke wa mo le -Berú-berú /

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-Ochosi (7.06) akpwón Jesús "El Corto" Zayas
toque à Oke:
Ochosi Ayiloda, malamalá ode / Yire yire /
Ya mbeleke iloro ode ma ta ago Lona /
Ala iwo le - ode ma ta wo le wole / (retour au 3e chant) /
Iwara ode fa / Odede - a wa leo kun fo ya /
E odede (bis), afonfó únlo odede / (arrêt)
toque Tere mina tere:
Iyá ode sakaka re o Omolodde / Ibaloke omo mi wara-wará oke oke /
(retour au 1er chant) /

Ici, l'utilisation du toque a Oke est pour nous un élément vraiment nouveau. Cet usage est-il spécifique au style de Marianao? Rien de bien nouveau, par contre, dans le répertoire chanté.

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-Babalú Ayé (10.14) akpwón Jesús "El Corto" Zayas
toque ñongo:
Dawue dawue majino, aya numi dawue dawue /
Babalú Ayé o eyo-eyo (bis), eyo-eyo, Iyá ka ma dé, a be lari Baba olú o, mo yuba, arere sagagga /
Sa wa dé we nda ko-ko sa wa dé wenda (bis), eni a wá ye (bis),
wa dé we nda ko-ko sa wa dé wenda /
Ero ma ilé a wá (bis) sa wa dé iyá ko ma, ko ma rere a wá o,
ero ma ilé a wá sa wa dé iyá ko ma, ko ma, ko ma rere a wá /
Ayaba ilé o, Baba nko lú o, Ayanú sa wa dé / Babalú o dide, Babalú o ilú ayé /
Ma ito ngo lo, ma ito ngo lo Chakuatá, ma ito ngo lo e /
Addache elubbe o - Chakuatá, ma ito ngo lo /
(reprise 6e chant)

Ici on a vraiment, dans les chants, quelque chose de nouveau: des chants jamais enregistrés, (sauf par Lázaro Ros dans la série Oricha Ayé) ce qui après tout ne constitue pas une prouesse tant le répertoire de cet Oricha est étendu. Nous n'avions entendu certains d'entre eux que dans des cours de chant.
Le chant suivant:

akpwón:
Babalú Ayé o eyo-eyo (bis), eyo-eyo, Iyá ka ma dé,
a be lari Baba Olú o, mo yuba, arere sagagga

ne nous était connu seulement que comme une "guía" longue de l'akpwón pour arriver sur:

akpwón:
Mo yubba
coro:
Arere sagagga

Le propre frère d'El Corto, Alexis Zayas, nous l'avait enseigné ainsi (avec le toque ñongo):

akpwón:
Babalú Ayé o eyo-eyo (bis), eyo-eyo, eyo-eyo, abere lari o, mo yubba
coro:
Arere sagagga
akpwón:
Mo yubba
coro:
Arere sagagga

Reynaldo "Flecha" Delgado, dans un oro cantado, le chantait ainsi, en venant de "Sirere, sirere mo gba - Baba sire-sire" (avec le toque Bariba Ogue dema, et pour passer à Yewá ou "Arará alante":

akpwón:
Babalú Ayé o eyo-eyo (bis), eyo-eyo, Iyá nka ma dé, a be lari o kú o, Baba mo yubba
coro:
Arere sagagga
akpwón:
Mo yubba
coro:
Arere sagagga

Lázaro Ros, dans son cd "Oricha Ayé - Babalú Ayé" entâme son "tratao ñongo" (qui est en trois parties) à cet Oricha par ce chant. Cette série d'enregistrements a été tellement critiquée à Cuba par un si grand nombre de nos interlocuteurs que nous avons fini par les considérer avec méfiance. Il est vrai que tant de mélodies y sont bien étranges…

Par contre ici c'est toute la phrase de l'akpwón que répète le choeur, et l'on reste sur le toque ñongo, sans jamais "diviser par deux" la structure du chant pour le faire monter en intensité. Il ne semble pas que dans un tel cas (ñongo pour Babalú Ayé) on puisse passer au toque Chachalokafún. Ce "ñongo a Babalú Ayé" est une vraie nouveauté discographique, nous semble-t'il. Le sujet de cet Oricha - encore une fois - au répertoire énorme a été plus que survolé par le projet Abbilona.

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-Obatalá (9.18) akpwón Jesús "El Corto" Zayas

toque à "Obatalá 1" (parfois joué dans l'oro seco), puis "Obatalá 2" ou "Jekuá Baba jekuá o":
Rezo a Obatalá / E e jekuá o /
toque a "Obatalá 2" 4e vire ? puis ñongo:
Ayagguna wá rí o, Ayagguna wá / Ewa wo kue yeyé /
toque chachalokafún:
Obatalá kú na wa, Obatalá kú na wo / Obatalá Lerí eyo (bis) /
Leyigbo kere - addo ke rere / Lerí wo dé Lerí wo dé /
Baba Obanla (bis) Obanla e, Baba gbe Lona Obanla / Tó tó itó - aya mbele tó /
Waya-waya si mba ere / (reprise 5e chant) /

Il est dommage que cette partie du répertoire ait déjà été enregistrée par ce même chanteur dans la première série Abbilona, dans une forme très similaire, ce qui n'apporte rien de bien nouveau au niveau du projet discographique. Il nous reste néanmoins la possibilité de comparer comment les deux équipes de tambourinaires gèrent ce "traité".

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-Olókun (4.15) akpwón Jesús "El Corto" Zayas

toque a Olókun:
O mo si to (bis) / Oma yo e, e e e / Oma yo la úmba wa chire /
(reprise 1er chant) / Ma ima ima iye / (reprise 2e chant) /
(reprise 3e chant) / (reprise 4e chant) /

Le fait que cette partie du répertoire d'Olókun ait été enregistré dans la première série Abbilona, mais par un autre chanteur (Carlos "Papito" Rey) est intéressante, car elle nous offre des points de comparaison, car le chant:

"O mo si to, mo si to, Iyá Layé omo yo ko ro"

y est géré complètement différemment par rapport aux cycles du toque, de la clave et de la pulsation tout court. La manière dont le chante ici "El Corto" "colle mieux" à la clave.
Le "traité" a Olókun est plus complet dans la version d'Abbilona, mais dans les deux cas on regrettera un format "commercial" court du traité. Encore faudrait-il s'assurer que chanter pour Olókun ne revient pas dans la plupart des cas seulement à saluer l'Oricha (ou à saluer un ou plusieurs Babalawos), étant donné la caractère spécial de cet Oricha, qui à priori n'est reçu que par les Babalawos.

Natalia Bolivar précise néanmoins dans "Los Orichas en Cuba" que Ferminita Gómez fut la première Santera à faire en sorte que des Santeros (par essence non-Babalawos) puissent recevoir cet Oricha. Nous n'avons jamais vu dans un tambour jouer ou chanter pour Olókun ailleurs que dans le cierre Añá. Des cérémonies spéciales et secrètes existent pour cette divinité. Les réponses à ces doutes ne se trouvent que dans la religion, et seul un spécialiste saura y répondre.

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-Changó (18.53) akpwón Jesús "El Corto" Zayas

toque a Dadá:
Wo lenche / Were-were iná yo /
Were itó were (bis) Changó Takuá itó were /
toque ñongo (tratao de Ogoddo):
Ogoddo e, a wá meta / A wá wona Loyú re (bis) /
Eni Ogoddo wá mi (bis) malamalá kini aró /
Fara-fara we (bis) eni Ogoddo fara, fara-fara we /
Ero ya wa o (bis) ero ya wa o, ma gboni kabiyosile o /
E yo Elera (ter) omo lukumí e yo Elera kó si nka /
Eyo, eyo, eyo lare nare, eyo lare na Baba wa / Eyilá e, eyilá chebbora /
A wa piti kú o omo ni leyo (bis) Eleyo Baba, Be mbe leke a wa mbe Lona bí o kue Laye /
toque chachalokafún:
Lagba-lagbá, Leke-leke, kue la rí o, kuenda yo /
Ayele o (bis) Ogoddo ima Ogoddo gai, Ayele o gba ko wa o /
Alakata ni fo Oba Oricha Lewa wo / Okán Baba s'Eleguá /
Akukó meta Lerí o, cheke re leke / Akukó nfaya-nfaya-nafaya akukó /
Aladó gba Loroke / Aladó mo fi nkaya / Aladó fa lulú dé /

Nous avons-là un magnifique "tratao de Wolenche", qui dévie sur le "tratao de Ogoddo" (le pilon) a Changó, le tout comprenant 21 chants, ce que certains musiciens trouveront sans doute "excessif et moderne". Le répertoire de Changó, du point de vue des toques comme de celui des chants, est bien évidemment le plus étendu de tous les Orichas vénérés à Cuba. Nous avons déjà entendu Reynaldo "Flecha" Delgado chanter un tel traité dans un "tambour", légèrement différent:

toque a Dadá:
Wo lenche / Were-were iná yo /
Were itó were (bis) Changó Takuá itó were /
toque ñongo:
Che gba inche (bis) aya ima fa ma Ogoddo, che gba inche /
Ogoddo, Ogoddo, Ogoddo / Ogoddo wi ma wo lenche - Ala i Takuá ala ilá /
Ogoddo e, a wá meta / A wá wona Loyú re (bis) /
Eni Ogoddo wá mi (bis) malamalá kini aró /
Ogoddo otá lo pa unyonyón, Ogoddo moforibale yo oddina /
toque chachalokafún:
Oba Koso durudde eni Oba chokotó /
Ka wó, Changó ka wó, Olufina ka wó ma dé Iyá / Ka wó Onile yo (bis) /
Ka wó e (ter) kabiyosile o / Oy'ina lubbe Changó Oy'ina /
Changó mo ti a wá - E a /

Nous citerons également comme point de comparaison le magnifique traité chanté par Javier Pina dans le cd "Changó II" (seconde série Abbilona), qui contient quelques chants en commun avec celui chanté ici par El Corto.

Parmi tous les chants cités ici, nous retiendrons celui-ci, pour nous inédit:

akpwón:
Eyilá e, eyilá chebbora
coro: id.
qui nous parle du "signe" de divination du diloggún "Eyilá Chebbora" (12), un des signes par lequel Changó "parle" dans la divination.

Nous retiendrons également le suivant, dont le sens est très particulier:
akpwón:
E yo Elera (ter) ¿omo lukumí?, e yo Elera: ¡kó si nka!
Toi (qui) apparais (comme un) propriétaire-de-ton-corps (non-esclave) ¿(toi) fils de lukumí?
Toi (qui) apparais (comme un) propriétaire-de-ton-corps, cela n'est pas possible!
soit:
"Toi, un métis, fils de Lukumí? impossible!"

Ce chant qui appartient au répertoire de Changó serait une "puya" pour les non-noirs, qui met tout simplement en doute leur ascendance africaine: on leur dit ici que leur couleur de peau les empêche d'affirmer leur parenté avec des Africains.

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- CD2 -

Ce second cd est le moins intéressant des trois. Il contient:

-Eleguá (2.49) akpwón Jesús "El Corto" Zayas
toque Tere mina tere:
Tere mina mina tere / Moforibale Moddele /

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-Ogún (5.41) akpwón Jesús "El Corto" Zayas
toque a Olókun:
Iré Olókun mo iyó Lodde / Okó, okó / Ikí rí adá /

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-Omolodde (Ochosi) (4.29) akpwón Jesús "El Corto" Zayas

toque Omolodde:
Omoloddo omo tití yo / Yire yire /
Ya mbeleke iloro ode ma ta ago Lona / Iwara ode fa /
toque Omolodde, puis toque a Dadá:
Odde bí do la, odde bí Lodde /
toque Omolodde:
Ibanla Ochosi omo mi ibanla / Odde bí do la, odde bí Lodde /

La paternité du chant "Omolodde" est souvent sujette à controverse, entre Yemayá et Ochosi.
Il est chanté ici pour Ochosi, ce qui est logique puisque "Omo Olodde" peut signifier "l'enfant propriétaire de la chasse"
L'utilisation du toque Omolodde est rare sur les chants 2 à 4 (on utilisera plutôt le toque Tere-mina Tere, comme dans le cd 1), et l'utilisation du toque a Dadá en tant que "vire d'Omolodde" est encore plus surprenante. Encore une fois, il faudrait savoir si cet usage est propre au style de Marianao. L'usage de conversations du toque à Dada dans le toque Omolodde est courante, mais pas l'utilisation du toque lui-même,à notre connaissance . Cette seconde pièce pour Ochosi est celle qui présente le plus d'intérêt dans ce second cd. Il est rare qu'un même répertoire figure deux fois dans un enregistrement, mais ici les différents accompagnements de tambour sont très intéressants.

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-Osáin (9.26) akpwón Jesús "El Corto" Zayas

toque ñongo:
A e, Osáin mariwó / Osáin farawa / Awe itó Ochumare / (arrêt)
toque a Osáin 3e vire:
Kuru-kurú be'te / Osáin beni beni to vle /
toque a Osáin 4e vire ou "Baba Fururú":
Mamú ra mo fi nye / Osáin se ise mi /

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-Ibeyí (9.23) akpwón Jesús "El Corto" Zayas

toque a Ibeyí:
Keye-nkeye nya /
toque Yakota:
Beyí la omo eddun /
toque ñongo:
Beyí la mo kara / Odo Jimagua, Odo ala Beyí a úre / Onare o (bis) / Tani la Ocha ma ro ro / (reprise 1er chant) /
Beyí la ese Aremú, Beyí lo ro ese / (reprise 2e chant ) /
(reprise 3e chant) / (reprise 4e chant) /

Il est à noter que dans ce dernier cd le traité a Ibeyí "dévie" sur des chants déjà utilisés dans notre triple cd… pour Babalú Ayé (cd1), soit:

Sa wa dé we nda ko-ko sa wa dé wenda (bis), eni a wá ye (bis),
we nda ko-ko sa wa dé wenda /
Ero ma ilé a wá (bis) sa wa dé iyá ko ma, ko ma rere a wá o,
ero ma ilé a wá sa wa dé iyá ko ma, ko ma, ko ma rere a wá /
et sur un autre chant pour Babalú Ayé:
Sa nla jo, e e, sa nla o - Elese ariwo /

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-Obba (11.09) akpwón Jesús "El Corto" Zayas

toque a Obba:
A isa, isa Lobba lore / Aluya osi Elekó Iyá Lobba Lomo Obba /
Ewé Iyá o, ewé-ewé si / To bí Ikú o, to bí Achabba /
toque a Obba 2e vire:
Eni owo /
toque a Obba 3e vire:
Erú la finda farawa /
toque a Obba 1er vire, puis 2e vire:
Eni owo /
toque a Obba 3e vire:
Erú la finda farawa /
toque a Obba 4e vire:
Koro ele Elekó /
toque ñongo:
Obba yunnú, Obba yunnú Obba e /
toque ñongo puis chachaolokafún:
Obba isere, Changó iloro, Obba isere /

Nous avons ici un exemple des chants que l'on peut utiliser pour "saluer" Obba dans l'oro cantado, puis du chant "Obba yunnú, Obba yunnú Obba e" semblable au chant "Obbalubbe, Obbalubbe Oba e" pour Changó, suivi d'un chant… pour Changó, que nous voyons ici pour la première fois utilisé pour Obba.
Ce répertoire d'Obba a été assez peu enregistré, et ce qui apparaît ici essentiel est la façon dont les tambours vont gérer les différents passages de vires du toque en fonction des chants. Si dans la plupart des cas dans l'oro cantado on se contentera des deux premiers chants (ou d'autres chants) - il est vrai que les fils et les filles d'Obba ne sont jamais légion - on peut chanter tous ces chants sur les 1er et 2e vires du toque a Obba, en terminant par le 4e vire, sans forcément passer par le 3e.

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-Ochún (12.08) akpwón Jesús "El Corto" Zayas

toque Yakota:
Yeyé bí o bí Osu o / Oyoúro wene, wene-wene oyoúro /
toque Yakota puis "cierre de Yakota", puis Yakota,
puis Ochiche Iguama:
Ochiche Iguama /
toque ñongo:
Eni o ja, eni ojun - Chinchi Olóngo / Si ni wa, Iyalodde, si ni wa / Soddorosa (bis), soddorosa Yeyé Karé /
toque ñongo puis chachaolokafún:
Ochún Baba yo Alawe / Ala i Yeyé ala idó /
Titileko, ilé mbe wa o - Oricha ewé / Ilé mbe wa o - Afiyere mo Yeyé o /

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-Oduduá (!) (Obatalá puis Oduduá) (13.02)
akpwón Jesús "El Corto" Zayas

toque Yakota
Odudú Aremú (bis) /
toque Kán-kán (de Oricha Oko?) puis Odú Aremú o:
Odú Aremú o, wi mbió /
toque Baba mi Chokotó:
Odudú kpue Laye - Baba mi chokotó Aremú kue Laye /
toque Odú Aremú o:
Odú Aremú o, wi mbió /
toque Baba mi Chokotó:
Odudú kpue Laye - Baba mi chokotó Aremú kue Laye / (arrêt)
toque a Oduduá:
O kú o, ago Lona / E kí Baba o kú aye (bis) / Oddie, a e /
A wá kun leke Olófin (bis) / (reprise 1er chant)

Une erreur s'est glissée ici dans les crédits du cd, puisque les premiers chants ne sont pas pour Oduduá, mais bien pour Obatalá. Le premier chant est intéressant, car peu enregistré, mais les autres chants pour Obatalá ont encore une fois déjà été enregistrés par ce chanteur dans la première série Abbilona. Les chants pour Oduduá sont intéressants, car les chants 3 et 4 ont été peu enregistrés.

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- CD3 -

(Photo: CIDMUC)

Le troisième cd vaut à lui seul les deux premiers. L'oro seco est du plus grand intérêt pour les percussionnistes, car jamais un oro de ce style n'avait été enregistré. La prestation d'Andrés Chacón à iyá (si c'est bien lui qui joue ce tambour) est des plus remarquables, plus encore vu son grand âge, et dans un style très original. En voici le contenu:

-Oro seco (27.11)

-Eleguá (le premier vire contient beaucoup de variations peu courantes)
-Ogún (passage au 2e vire "sans prévenir", pas de retour au 1er vire)
-Ochosi (en passant deux fois par le second vire, et sans prévenir pour passer au dernier vire, celui-ci contenant de nombreuses variations d'iyá dans sa seconde partie)
-Osun
-Obaloke (avec appel d'iyá jouant la partie d'itótele sur le cha-chá, sans passer par le vire "ressemblant à ñongo", et sans "conversation en boucle")
-Inle (repassant brièvement par le 2e vire avant de passer au dernier)
-Oricha Oko
-Osáin (avec un itótele spécial dans le premier vire, et passant du 3e au 4e vire sans llamada)
-Babalú Ayé (Iya nko'ta / Bariba Ogue de ma, quatre "presionados" dans la partie d'itótele sur le "B" de Bariba Ogue Dema ou "gba-ke", au lieu de trois )
-Yegguá
-Ibeyí
-Dadá (avec un llame spécial dans un des vires)
-Oke (sans rompre le cycle de la clave)
-Agayú ("por derecho")
-Changó Didilaro (dans un style très particulier, avec dans le 1er vire un okónkolo ternaire comme habituellement dans 3e vire) puis Meta de Changó
-Obatalá ("2" ou "E e e jekuá o", repassant, après le 4e vire - qui utilise les "presionados" - une seule fois par l'appel du 1er vire pour passer au 5 vire. 2e partie du 6e vire ou "Chikambó" ternaire)
-Obba
-Oyá (avec un okónkolo spécial sur le 1er vire, ressemblant à celui du 1er toque à Obatalá)
-Yemayá Alaró (sans ralentissement ni Omolodde à la fin)
-Ochún Chenche Kururú (avec un okónkolo spécifique)
-Orula
-Olókun (ou Eleguá?)
-Oduduá

Un document précieux montrant Yenier "Zurdo" Estevez Chirino en mayorcero a malheureusement été retiré de YouTube, qui contenait un oro seco dans le style d'Andrés Chacón, de Eleguá à Osáin, dans le même ordre spécifique de Marianao.

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-Güiro a Eleguá (7.20) akpwón Pedro Israel González Junco

On croirait la voix du chanteur modifiée par un dispositif tant elle est rauque, et fait penser aux voix travesties des Egungun filmés par Pierre Verger au Brésil.
Les chants:
Suwa yo, ma ma ke nya o, Echú Oddara ke ny'irawo / Echú o Oddara (bis) Oddara mbe Echú o ma gboni o ya re / Iba mba ala nki o / Iba mba la iwo / Iba mba la iwo ma iná / Tele-tele lagwa o… - So sa / Ewé ke'te / E ago Eleguá e / Tó rí mariwo ye / Chón-chón meyí ago ni farawa / Ma gbo ni farawa (bis) ka ro Liná fú awo - Chón-chón meyí ago ni farawa / To'lo día yo llama a Eleguá - Bara Eleguá ago / Ago kó te ro, Bara ago ima kó te ro /

La prestation du chanteur est remarquable. Nous retiendrons les chants suivants, pour nous inédits:

akpwón:
Iba mba la iwo
coro: id.
akpwón:
Iba mba la iwo ma iná
coro: id.

On pourrait tenter de le ré-écrire et de le traduire ainsi:
Iba ba là igbó
Hommage (à celui) qui va ouvrir le chemin dans la forêt
Iba ba là igbó, ma ima
Hommage (à celui) qui va ouvrir le chemin dans la forêt,
encore et encore

ou

Iba ba là igbó, ma iná
Hommage (à celui) qui va ouvrir le chemin dans la forêt, éternelle flamme
ou encore:
Hommage (à celui) qui va ouvrir le chemin dans la forêt,
toujours (avec) le feu

Le feu est pourtant rarement associé à Eleguá.

Nous également avons retenu cette manière d'entrer dans le chant "So sa", pour nous inédite:

akpwón:
Tele-tele lagba o, tele-tele gba iba Orisa (bis)
Tele-tele gba iba Orisa
coro:
So sa
akpwón / coro:
Ala ma wei / So sa
Soro ma wei / So sa
Ledde-ledde / So sa
Eleguá Alayiki / So sa
Eleguá Alagbona / So sa
Chón-chón meyi / So sa
Gba ko maddo / So sa
Ibbú ala inú a / So sa
So kere / So sa
Ala ma wei / So sa
Soro ma wei / So sa
Orú rú jei / So sa
Baba fú mi ko Eleguá / So sa
Alayiki Alagbona / So sa

Nous avons également retenu cet autre chant inédit:

akpwón / coro:
Ewé ekete / Ewé ekete
Titilaro / Ewé ekete
Baba fú mi ko Eleguá / Ewé ekete

et cet autre chant:

akpwón / coro:
Tó rí mariwo ye, Eleguá / Tó rí mariwo ye
Eleguá / Tó rí mariwo ye
Alaroye / Tó rí mariwo ye
Alagwaná / Tó rí mariwo ye

et encore ce chant visiblement créolisé:
akpwón / coro:
To'lo' día yo llama a Eleguá - Bara Eleguá ago

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-Güiro a Ogún (7.20) akpwón Pedro Israel González Junco
A wa niye o, Ogún mariwo / A wa nile, a wa nile ko ma nse irawo / E ariwo ya ya / Iye iyekuá (bis) kele-kele mo da nse Logún Aladó Lorisa / Ariwo mo da nsere kere kete / Ko ko mo da nse le yo - Ko ko / A wa nile Onile - A wa nile mai-mai / Be mbe adá o / Adá o e e / Emi adá o - Gba ilé o / Be mbé aya te ni Ogún / Were ito were /

Le toque güiro a Ogún est de la même veine que le précédent pour Eleguá. Même si les chants y sont "classiques", le style de l'akpwón leur donne une saveur nouvelle très appréciable.
Nous retiendrons ce chant, qui a la particularité d'avoir la même mélodie que les chants "Waya-waya si mba ele" ou que "Wini-wini mo ba le", tous deux pour Obatalá.

akpwón:
Be mbé aya te ni Ogún, te ni Ogún, te ni Ogún
coro:
Be mbé aya te ni Ogún
akpwón:
Te ni Ogún, te ni Ogún
coro:
Be mbé aya te ni Ogún

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-Arará para Asojano (9.01) akpwón Jesús "El Corto" Zayas

toque Afrekete (il manque le tambour wewé?):
Ako maddo, ako maddo yo mbolo /
Awoye mero kuina-kuina… Ma gba sile Soyi emiddie -
Osikuá-osikuá ma gba sile /
Odda jenu nawua e (bis)… - Okuilakua lo fifidenu, Odda jenu nawua e /
Se mi Loddo na Ikú na idde ke / Afrá jeggan, sara jeggán /
Kitipolo-kitipolo, ewue iso da /

L'intérêt de cette pièce arará a un intérêt multiple: elle permet d'entendre le dernier "tambour" arará en activité à La Havane, et d'en apprécier le style. Elle constitue également un des seuls enregistrements arará havanais traditionnels de toute l'histoire discographique afro-cubaine, la plupart des autres enregistrements ont en effet été produits par des groupes folkloriques sur scène ou en studio. Le style arará havanais a presque disparu, et beaucoup de matanceros viennent aujourd'hui officier à la capitale pour les cérémonies, étant donné la relative proximité des deux villes (à l'échelle de Cuba).
Le répertoire chanté de cette pièce contient un chant rare, que voici tel que nous l'avions appris avec Franklin Beltrán:

A: Se gbi no to nari nu mai sebbe gbe to
C: Se gbi no to nari nu mai jebbie
A: Se gbi no to nari nu mai sebbe gbe to
C: Se gbi no to nari nu mai jebbie
A: Alaí lo sa C: Ojeno jebbie
A: Alaí lo sa
C: Ojeno jebbie, mai ayi mai ayi mai sebbe gbe to,
se gbi no to nari nu mai jebbie??

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-Abakuá (12.21) chanteur: Jesús "El Corto" Zayas

Malheureusement, cette pièce abakuá dépareille l'ensemble du disque, et la prestation d'El Corto démontre ses limites en matière de chant abakuá. Il n'est pas dans notre intention de remettre ici en question ses compétences en matière de chant yoruba et arará, lui qui représente sans contestation possible la nouvelle génération d'akpwones havanais, en suivant la ligne tracée par son illustre père.
Les mélodies, le sens de la clave sont ici mis plusieurs fois en péril, et il nous est difficile de comprendre comment Ivor Miller, un des plus grands spécialistes de la culture abakuá, a pu choisir de faire figurer cette pièce dans cet enregistrement remarquable à de multiples autres points de vue.
Nous préférons ne pas ajouter ici d'autres commentaires…

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À PROPOS DE L'ORO SECO D'ANDRÉS CHACÓN:

(Francisco Saez Batista, Andrés Chacón, Gabino Fellove
Photo José Franco, 1959, Folklore Criollo y Afrocubanol)

L'ordre de l'oro seco le plus courant à La Havane, du moins tel que nous l'avons constaté, est le suivant:
C'est l'ordre que joueront Mario Jáuregui, disciple de Pablo Roche, ou Regino Jiménez, disciple de Jesús Pérez:

-Eleguá
-Ogún
-Ochosi
-Obaloke
-Inle
-Babalú Ayé (2 toques)
-Osáin
-Osun
-Obatalá (1 ou 2 toques)
-Dadá
-Oke
-Agayú (1 ou 2 toques)
-Orula
-Oricha Oko
-Ibeyí
-Changó (1 ou 2 toques)
-Yewá
-Oyá
-Ochún
-Yemayá
-Obba
-Oduduá

(Trinidad Torregrosa, Raúl Díaz et
Giraldo Rodríguez, photo Fernando Ortiz)

Dans les ouvrages d'Ortiz, on trouve l'ordre suivant, selon Raúl Díaz, lui aussi disciple de Pablo Roche:

-Eleguá (2 toques)
-Ogún
-Ochosi
-Obaloke
-Inle
-Babalú Ayé (2 toques)
-Osáin
-Osun
-Obatalá (1 ou 2 toques)
-Dadá
-Oke
-Agayú (1 ou 2 toques)
-Orula
-Ibeyí
-Oricha Oko
-Changó (1 ou 2 toques)
-Yewá
-Oyá
-Ochún
-Yemayá
-Obba
-Oduduá

Ici, seule la place d'Oricha Oko change. On joue ici, comme nous l'avons déjà évoqué dans un précédent article, deux toques pour Eleguá, comme à Matanzas. Ce second toque pour Eleguá, que Mario Jáuregui appelle "Echú", que d'autres appelleront "Eleguanita" ou "toque a Olókun" a disparu de l'oro seco havanais, mais est bien joué par Andrés Chacón, en avant-dernier toque.

("Palito", Pancho, Román)

Román Díaz et José Fernández, disciples de Pancho Quinto, joueront:

-Eleguá
-Ogún
-Ochosi
-Obaloke
-Inle
-Babalú Ayé (2 toques)
-Osáin
-Osun
-Obatalá (1 ou 2 toques)
-Dadá
-Oke
-Agayú (1 ou 2 toques)
-Orula
-Oricha Oko
-Ibeyí
-Changó (1 ou 2 toques)
-Oyá
-Yewá
-Ochún
-Obba
-Yemayá
-Oduduá

Ici, ce sont les places de Oyá et de Obba (et donc de Yemayá et de Yewá) qui changent par rapport à notre ordre initial.

Papo Angarica jouera:

-Eleguá
-Ogún
-Ochosi
-Obaloke
-Inle
-Babalú Ayé (2 toques)
-Obatalá (1 ou 2 toques)
-Osun
-Agayú (1 ou 2 toques)
-Changó (1 ou 2 toques)
-Dadá
-Oke
-Oricha Oko
-Ibeyí
-Yewá
-Oyá
-Yemayá
-Ochún
-Orula
-Obba
-Oduduá


(Sergio Quiros Sr., José Fernández, Sergio Quiros Jr.)

Sergio Quiros Jr., que nous avons souvent vu jouer dans le tambour de son père, disciple de Fermín Basinde, jouera l'ordre suivant:

-Eleguá
-Ogún
-Ochosi
-Obaloke
-Inle
-Osun
-Osáin
-Babalú Ayé (2 toques)
-Ibeyí
-Dadá
-Oke
-Oricha Oko
-Agayú (1 ou 2 toques)
-Changó (1 ou 2 toques)
-Obatalá (1 ou 2 toques)
-Oduduá
-Obba
-Yewá
-Oyá
-Yemayá
-Ochún
-Orula

Nous l'avons également déjà vu jouer:

-Eleguá
-Ogún
-Ochosi
-Osun
-Babalú Ayé (2 toques)
-Ibeyí
-Dadá
-Oke
-Oricha Oko
-Agayú (1 ou 2 toques)
-Changó (1 ou 2 toques)
-Obatalá (1 ou 2 toques)
-Oduduá
-Obba
-Yewá
-Oyá
-Yemayá
-Ochún
-Orula

L'oro seco du groupe Afrokún Imale, par Luis Torriente, Lázaro Angarica et José Brown, dirigé par Gilberto Herrera, 1989 (25.50) présente de nombreuses similitudes avec l'oro d'Andrés Chacón.
Cet enregistrement remarquable (disques SudNord, Italie) est malheureusement complètement impossible à trouver. Il contient lui-aussi des similarités avec l'orú d'Andrés Chacón, mais il est impossible de savoir de quelle partie de La Havane est ce groupe.

-Eleguá
-Ogún
-Ochosi (le dernier vire contient de nombreuses variations d'iyá)
-Obaloke (avec appel d'iyá jouant la partie d'itótele sur le cha-chá, sans passer par le "vire ressemblant à ñongo", et sans "conversation en boucle")
-Inle (après le troisième vire, repasse brièvement par le second vire, puis repasse par le 3e avant de passer au dernier)
-Osun
-Babalú Ayé (Iya nko'ta / Bariba Ogue de ma)
-Osáin (passe le Iyesá avant le 4e vire)
-Oricha Oko
-Ibeyí
-Dadá
-Oke (en rompant le cycle de la clave)
-Agayú ("por derecho")
-Changó Didilaro (seulement les deux premiers vires)
-Obatalá ("2" ou E e e jekuá o, avec le 6e vire ou 'Chikambó' ternaire)
-Obba
-Yegguá avec la "grande conversation"
-Oyá (Oyá m'bí'kú)
-Yemayá Alaró (sans ralentir à la fin)
-Orula
-Ochún Chenche Kururú (avec un okónkolo spécifique)
-Oduduá

Oro seco par Miguel Santa Cruz, Gustavo Díaz et Juan González enregistré par Lydia Cabrera (1957):

-Eleguá: pas d'appel initial (ou non-enregistré?) le cycle d'Abukenké est inversé
-Ogún: passe trois fois par le second vire
-Ochosi: ne passe qu'une fois par le second vire, passe au dernier vire "sans prévenir"
-absence d'Osun
-Obaloke: démarre par itótele, absence du vire "ressemblant à ñongo"
-Inle
-Oricha Oko:
forme très étrange
-Osáin: démarre directement par le 3e vire (!!), ce seul vire est joué
-Babalú Ayé: quatre phrase de réponse sur le "B" de Bariba Ogue Dema
-Yeggua avec "grande conversation"
-Ibeyí
-Dadá:
avec "vire spécial" non-joué en boucle
-absence d'Oke
-Agayú
("por derecho")
-Changó Didilaro (deux premiers vires seulement)
-Obatalá "2"
-Oduduá
-Yeggua
(pour la seconde fois!)
-Oyá "por derecho" 1er vire puis Oyám'bí'kú!! 1er vire
-Ochún
-Orula
-Yemayá


Il est difficile de savoir si l'ordre des toques n'a pas été changé ici, étant donné que ceux-ci sont séparés sur le cd. Après avoir eu entre les mains un enregistrement des vinyls originaux sur minidisk, il apparaît que Dadá est placé originellement - chose pour le moins étrange - entre Inle et Oricha Oko, puis rejoué après Ibeyí.
On a bien ici la présence de Yewá dans (ou après) Babalú Ayé, comme à Matanzas, même si le toque est rejoué plus tard. On constate également de nombreux points communs avec l'oro d'Andrés Chacón. Cet oro ancien est antérieur à l'arrivée du premier tambours de fundamento à Marianao. Il est donc exclu de penser qu'il appartienne à ce style. Par contre, sans doute le style de Marianao dérive-t'il d'un style ancien proche de celui-ci.

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L'ordre de certains de ces orú secos rappelle fortement celui de l'oro cantado. Ce fait nous rappelle un fait conté par Franklín Beltrán, élève de Luis Santamaría, qui nous informait que l'ordre de l'orú cantado a un rapport avec la création du Monde, sinon avec l'histoire des premiers hommes. Il ne parlait pas ici de l'orú seco, mais il faut préciser qu'il ne se positionnait-là qu'en tant que chanteur, connaissant assez peu les choses du tambour.
Si nous reprenons l'ordre de l'orú d'Andrés Chacón, on peut le commenter de la façon suivante:

-Eleguá: Echú n'a pas été créé par Olodumare. Il est le néant, la ténèbre, et en cela pré-existe à toute chose.
-Ogún: une fois que la Terre fut créée, la première chose qu'inventèrent les hommes fut la guerre.
-Ochosi: de la guerre, les hommes inventèrent la chasse.
-Osun: il accompagne les trois (autres) guerriers: Eleguá, Ogún et Ochosi.
-Obaloke: selon la plupart des sources, il n'est pas un Oricha, et son toque serait un second toque pour Ochosi, selon d'autres il s'agit de l'Oricha Oke (Oba Oke), différent de Oggué. Oke est, d'après Natalia Bolivar, inséparable d'Ochosi et Inle.
-Inle: après la chasse, les hommes inventèrent la pêche.
-Oricha Oko: après la pêche, ils inventèrent l'agriculture
-Osáin: de l'agriculture naquit la science des plantes.
-Babalú Ayé: de la science des plantes naquit la médecine pour guérir la maladie.
-Yegguá: elle a un rapport avec la mort, en relation avec la maladie? Elle se trouve ici séparée des autres Oricha Obbini (féminins) et de la "famille de Changó", auquelle elle n'appartient pas. Le toque a Yegguá est très utilisé pour accompagner les chants à Babalú Ayé. À Matanzas ce toque est inclus dans le toque a Babalú Ayé.
-Ibeyí: premier(s) membre(s) de la famille de Changó: ses enfants.
-Dadá: frère ou oncle de Changó selon les versions.
-Oke: la montagne. Ne fait pas - à priori - partie de la "famille de Changó".
-Agayú: de la montagne nait le volcan. Père de Changó.
-Changó: le feu, (né du volcan?).
-Obatalá: Oricha mâle et femelle, mère adoptive de Changó.
-Obba: femme légitime de Changó.
-Oyá: autre femme de Changó.
-Yemayá: mère de Changó
-Ochún: autre femme de Changó.
-Orula: premier mari d'Ochún, avec laquelle il a un temps (involontairement) partagé les secrets de la divination.
-Olókun (ou Eleguá?): toque pour Olókun ou second toque pour Eleguá, qui doit être honoré et en dernier.
-Oduduá: honoré en dernier pour être l'Oricha le plus ancien.

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LES INTERVIEWS D'ANDRÉS CHACÓN par IVOR MILLER:

Andrés Chacón Franquiz, né en 1933, était surnommé "Pogolotti" pour être une des figures les plus marquantes de ce quartier de Marianao, très excentré à l'ouest par rapport au centre-ville havanais. Il a été le premier à avoir la charge d'un tambour de fundamento dans ce quartier, tambour entré en activité en 1967, et est donc devenu le pilier de cette école du batá havanais.
Il a joué et appris avec Fermín Basinde, Pablo Roche et avec d'autres encore à Guanabacoa. Andrés était le dernier à posséder un jeu de tambour arará à La Havane, et à savoir comment les construire.

Il le disait lui même dans le film "Arte de cada Día":
"Si je meurs, c'en sera fini de tout cela".
Andrés était également índiobón de la potencia abakuá Ekori Etán Orú, fondée en 1944, année où Andrés s'est initié à ce culte.
Andrés Chacón Franquiz "Pogolotti" est décédé le 23 octobre 2001 à 68 ans. Il est enterré à La Lisa.

Dans le livret du cd, Ivor Miller cite plusieurs extraits d'interview d'Andrés Chacón, racontant sa vie, informations fondamentales de l'histoire des tambours batá havanais:

"Mes voisins EL LUKUMÍ (il s'agit sans doute de Victoriano Adyaí, décédé en 1940, cité par Fernando Ortiz et Lydia Cabrera), et HURTASIO JÍKE étaient nés de parents africains au XIXe siècle. Après ma naissance, Hurtasio épousa ma mère. Lui et El Lukumí jouaient avec ANDRÉS 'SUBLIME' (le père de Pablo Roche), et plus tard avec son fils. (…) En 1944, à l'âge de 11 ans, j'ai commencé à jouer avec FERMÍN BASINDE (mort en 1961), jusqu'à ce que j'aie 15 ans et que je commence à jouer avec PABLO ROCHE. (…)
Quand j'ai recontré Pablo, parmi ceux qui jouaient avec lui il y avait MIGUEL SOMODEVILLA, RAÚL 'NASAKÓ' (Díaz), PEDRO 'ASPIRINA' (Jáuregui), GIRALDO RODRÍGUEZ BOLAÑOS, VIRGILIO RAMÍREZ, ARMANDITO SOTOLONGO, 'YAYO', FRANCISCO SAEZ BATISTA, 'MERALDO', 'FELUNGO' et JESÚS PÉREZ. Quand je suis arrivé, beaucoup d'entre eux allaient sur leurs 70 ans. (…)
Miguel Somodevilla avait le tambour d'ADOFÓ (un des plus anciens jeux de batá consacrés de Cuba), J'ai appris un peu avec lui, qui n'enseignait à personne. Il ne parlait pas beaucoup. Les fils d'Africains avaient pour principe de ne pas parler. Il fallait les entendre. Miguel était celui qui avait le plus de connaissances, alors il jouait pour toi pour voir si tu captais ce qu'il jouait. Moi, il m'appréciait, alors quand j'étais là il jouait de manière à ce que je comprenne rien qu'en écoutant les tambours. Mais quand une personne qu'il n'appréciait pas était présente, il changeait sa façon de jouer pour ne rien montrer. Il ne te montrait jamais quoi faire avec les mains: il fallait simplement écouter. Quand tu avais compris et que tu venais pour jouer on le voyait content, parce qu'il constatait que quelqu'un avait appris quelque chose. Il fallait être intelligent et avoir une bonne écoute. (…) "

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LES PROCESSIONS DES CABILDOS LUKUMÍ DE REGLA

"Je jouais dans les cabildos de Regla dans les années 1950, dans le CABILDO DE PEPA avec le tambour de Miguel Somodevilla. Les cabildos de Regla étaient comme une comparsa. Nous sortions en procession jusqu'à la mer et nous jouions. On donnait des offrandes à l'océan, telles que des animaux à quatre pattes, des oiseaux, des fruits et des herbes. Les deux tambours de Miguel et de Pablo jouaient chacun pour un cabildo et ensuite nous nous rejoignions au cimetière de Regla. Nous allions saluer tous les santeros de Regla. Nous gagnions ce que nous récoltions avec une tirelire, à chaque fois que se 'tiraient' les cocos, devant la porte de certaines maisons de Santeras. Nous récoltions alors un derecho qui s'élevait à 50 centavos. Tout cet argent, nous le partagions ensuite entre nous: nous nous remplacions mutuellement. Il y avait des milliers de personnes qui venaient de tout Cuba pour la procession de chaque cabildo, qui avaient chacun une vierge, et on saluait chacune des deux vierges. À partir des années 52-53 Pablo a cessé de jouer pour les cabildos, et Jesús (Pérez) a commencé à jouer. Pablo Roche Cañal est décédé à Guanabacoa le 18 avril 1957. J'ai joué à ses funérailles. (…)

Ci-dessous, une vidéo touristique montrant des images du quartier de Regla:

La plupart des photos que nous allons inclure dans la suite de notre article sont issues d'un film cubain du début des années 1960:
La Colina Lenin, qu'il nous a bien semblé voir sur YouTube ces dernières semaines, mais qui en a apparemment disparu. Ce film montre la vie du quartier de Regla de cette époque, et fait la part belle aux processions des cabildos lucumí. Le nom de "Colline Lénine" a été donné après 1959 au point culminant de Regla, qui a cet endroit a un relief assez accidenté.
Nous allons également utiliser des informations tirées de deux remarquable sites internet: ilarioba.tripod et Guije.com.
Il nous a été impossible de retrouver les noms exacts des deux cabildos concernés, les noms les plus employés étant ceux de
"cabildo de Pepa" (Josefa Herrera) et de
"cabildo de Omi Toké" (Susana Cantero).

Le village de Regla en 1899
(cliquer pour agrandir)


Les processions de Regla partaient de la pointe s'avançant dans la baie, sur laquelle se trouve l'église de la Virgen de Regla, et traversaient l'agglomération de part en part, pour s'achever au cimetière, mentionné pour la première fois au sud du village sur la carte ci-dessus. (Sur une autre carte de 1851, il ne figure pas).

Ci-dessus, une carte plus actuelle de Regla, qui s'étend jusqu'à Vía Blanca: de l'autre côté de la route, c'est Guanabacoa, un municipio beaucoup plus étendu (et plus rural).

Sur le site (http://ilarioba.tripod.com/cabildos.htm),
Miguel "Willie" Rámos cite des extraits d'une thèse de l'Université de Miami, “The Empire Beats On: Oyo, Batá Drums, and Hegemony in Nineteenth-Century Cuba.”, datant de 2000. Dans ce document, on trouve des informations précisant ce que dit Andrés Chacón sur les cabildos de Regla:

"Il y avait deux processions de cabildos à Regla qui ont acquis une grande renommée: le cabildo Yemayá dirigé par Ño Remigio Herrera 'Addechina', et celui dirigé par Susana Cantero 'Omi Toké'. Le premier a été ensuite dirigé par la fille d'Addechina, Josefa 'Pepa' Herrera 'Echú Bí', et c'est avec elle que la procession de ce cabildo gagnera son plus grand renom (voir les articles précédents)."

"Omi Toké était d'ascendance carabalí et lukumí, ordonnée prêtresse de Yemayá à Palmira vers 1900 par Andrea Trujillo 'Ewiyimí'. Omi Toké était l'une des Iyalochas les plus respectées de Regla. Echubí est décédée en juillet 1947, et Omi Toké en août 1948. Jusqu'à leur mort, les deux Iyalochas entraient chaque année en compétition pour que la procession de leur propre cabildo surpasse celle du cabildo concurrent".

(Photo: Pierre Verger 1957)

Sur le remarquable site "Guije.com" on trouve des informations complémentaires, tirées d'un ancien numéro de la revue Carteles du 15 décembre 1957, contenues dans l'article: "Los Cabildos y el Mendigo de la Parábola Bíblica" de Gregorio Ortega.

(n° de Carteles du 15 déc. 1957)

On y apprend que les processions pouvaient comporter non pas deux Saintes, comme nous le disait plus haut Andrés Chacón, mais quatre Saintes par cabildo:

"Les membres des cabildos vont chercher dans la ville quatre statues: celles de la Virgen de las Mercedes (Obatalá),
de la Virgen de Regla (Yemayá),
de laVirgen de la Caridad (Ochún) et
de Santa Bárbara (Changó)."

Vierge de Regla, cabildo de Omi Toké


Vierge de Regla, cabildo de Pepa


Vierge de la Caridad, cabildo de Pepa


Vierge de la Caridad, cabildo de Omi Toké


"Celles du cabildo de Susana sont portées sur des brancards, sur les épaules des croyants. Celles du cabildo de Pepa, plus petites que les premières, et enfermées dans des castelets de bois, sont placées elles-aussi sur des brancards portés (plus bas) à bout de bras."

Vues de l'église de la Virgen de Regla

"La veille de la procession les effigies des Saintes sont conduites au sanctuaire de la Virgen de Regla, où elles passent la nuit. Le jour suivant, le curé leur offre une messe chantée. Puis les fidèles les reprennent, et les font sortir de l'église en maintenant leur effigie face à l'autel (dos à la porte). Avant de sortir, les brancards font volte-face et on les porte en direction de la mer."


Sortie des petits castelets du cabildo de Pepa,
Photos extraites de "La Colina Lenin"

"Dès que sort la première Sainte les tambours batá commencent à jouer. Les joueurs de tambours s'incorporent à la procession derrière la Virgen de Regla (Yemayá) qui est la dernière à sortir de l'église. (…)"

(Photos: Pierre Verger)

(Jesús Pérez)

(Trinidad Torregrosa)
Photos: "La Colina Lenin"


"Les Vierges des cabildos 'saluent' deux fois la mer: une fois à la hauteur de la Antigua Carbonera (l'ancienne meule à charbon?) et un fois à la hauteur de l'Emboque ('ouverture' ?). C'est dans ce dernier lieu que la cérémonie est la plus intéressante: on les place sur le quai face à la baie, côte à côte. Une femme jette à l'eau (une offrande) un panier avec des pains et des fruits. Ensuite, la responsable du cabildo, 'comme une offrande à la vierge de la mer', vide trois bouteilles: une de sirop, une de miel et une 'láguer' (soupe?); elle secoue un chiffon blanc et prend plusieurs morceaux de coco dans ses mains qu'elle élève, en demandant dans un murmure inaudible protection et chance, et pour finir elle les jette également à la mer."

Photos: Pierre Verger

"Par la suite les effigies des vierges seront présentées devant toutes les maisons qui les sollicitent. La procession, comme un serpent, cheminera dans les rues étroites du vieux village, parfois en pente, parfois tortueuses, et plusieurs fois la tête de la procession rencontrera la queue de celle-ci en contournant un pâté de maison. Le jeu des tambours deviendra avec les heures obsédant, puisque le parcours durera jusqu'à six heures du soir (jusqu'à la nuit). Les chants africains qui accompagnent les tambours rendront les âmes de plus en plus ardentes."

Photos: "La"Colina Lenin"

"De loin, les quatre vierges ressemblent à des navires sur une mer houleuse. Elles se balancent d'un côté à l'autre des rues, au-dessus des centaines de têtes agitées et convulsées, comme si elles-aussi avaient appris le rythme contagieux. Tout danse, tout chante, le soleil faisant scintiller les manteaux dorés des vierges, les yeux des noires étant emplis de rires."

Photos: "La Colina Lenin"

"Les larges portails et les grilles des fenêtres des anciennes bâtisses s'ouvrent sur leur passage. Et devant celles qui le désirent on répète la cérémonie du 'tirage' des cocos. La maîtresse de maison s'est préoccupée de préparer une jarre d'eau et une assiette avec des morceaux de coco sur le seuil. La responsable, sérieuse, majestueuse, se tient devant celui-ci, et dirige la cérémonie du regard. 'Quelle Sainte?' demande une ahijada, ne connaissant pas les croyances spécifiques de la maison devant laquelle on va officier. 'Obatalá' répond la responsable. Et on dépose à terre la Virgen de las Mercedes face à la maison. Les tambours et le chanteur pénètrent dans la maison et produisent une musique douce, d'invocation. La responsable du cabildo prend les cocos, en silence, concentrée, et les mord. Elle verse de l'eau sur le sol, et, les mains fermées, fait des signes en direction de la maison et de la Sainte qui est dans la rue. Elle lève le visage au ciel en une muette supplique qui laisse supposer une prière et jette les cocos au sol. ¡Magnifique, cette année le foyer bénéficiera d'un sort favorable, les cocos sont tombés avec la face blanche vers le ciel: Obatalá leur a été propice! La responsable du cabildo verse de l'eau sur le seuil et donne l'accolade à la maîtresse de maison."

Près de la petite place centrale de Regla,
la Casa de Ayuntamiento

Le cimetière de Regla


Photo: "La Colina Lenin"

"Plus tard, au Palacio del Ayutamiento, les sirènes des pompiers hurlant au fond de l'établissement, on répétera la cérémonie. Cette fois, c'est la prospérité de tout le village qui est en jeu. Le premier cabildo arrive à deux heures et demie au cimetière. les effigies des vierges restent au dehors, au milieu de centaines de mains qui agitent des branches de paraíso au-dessus des têtes, pour éloigner tout mal. la responsable du cabildo pénètre dans le cimetière pour annoncer à Oyá la procession du cabildo, et lui demander de protéger celle-ci et de la libérer de tout mal. Ensuite elle danse seule, au son des tambours, pour 'purifier' tous les gens présents. À la tombée de la nuit, avec les dernières lueurs du jour, les effigies des Saintes retournent aux cabildos. Le rite centenaire se termine. Les tambours batá sont rangés, et les vierges et Saintes descendent de leurs brancards et de leurs castelets; elles retournent sur les autels. Le silence s'empare à nouveau des rues."

(en deux photos de Pierre Verger,
on parvient à percevoir le pas de danse des porteurs,
qui "promènent" sans cesse le brancard d'un côté à l'autre)


(Trois photos des vierges du cabildo Omi Toké)

Sur ilarioba.com on nous donne encore ces informations complémentaires:
"Les processions démarraient à l'église de (la Virgen de) Regla, à la pointe nord-ouest de la ville. Là, quatre effigies de Saintes catholiques étaient placées devant l'autel, et le prêtre s'adressait ensuite à la foule et prononçait ses bénédictions, aspergeant les statues, les tambours et la foule d'eau bénite. À la porte de l'église, le responsable du cabildo tirera les cocos, pour estimer la satisfaction de la divinité après le rite catholique, avant que la procession ne se mette en chemin. Après que l'oracle ait confirmé l'approbation de l'Oricha, les fidèles traversent la rue vers la baie, où l'on consultera à nouveau l'oracle et où l'on fera des offrandes à l'océan par respect pour Yemayá et Olókun. (…)" (Dans la bande-son du film "La Colina Lenin", la grande majorité des chants que l'on entend (notamment près de la mer) sont pour Egun.

(Photo: Pierre Verger)

"Les dévôts portaient les statues de quatre Saintes catholiques:
-Notre-Dame de la Merci (Obatalá),
-Notre-Dame de la Charité (Ochún),
-Notre-Dame de Regla (Yemayá) et
-Sainte Barbe (Changó),
qu'ils avaient décorées de compositions florales élaborées et de dentelles et tissus brodés à la main. Les hommes portaient Yemayá et Obatalá, et les femmes Ochún et Changó. (…)
(Une fois devant la mer), les fidèles déposaient leurs offrandes, pendant que jouaient les tambours, et que l'on répondait à des chants pour les divinités en question. Des transes de possession survenaient très fréquemment pendant cette partie du rituel, et les divinités ('descendues') rejoignaient souvent les fidèles dans la célébration. La procession se mettait ensuite en marche de la baie vers le centre-ville, dans la rue Maceo, conduite par les tambours batá. En chemin, les cabildos faisaient halte devant le poste de police, devant le bureau du maire et devant les maisons des Olorichas importants, qui en avaient fait la demande. Sur le seuil de chaque maison on consultera l'oracle, et on jouera pour (les Orichas de) la maison et ses habitants. (…)"

(Photo: Pierre Verger)

"Si un Oloricha vivait dans la maison, il préparait à l'avance les cocos à tirer. Une fois que le cabildo avait payé son tribut aux divinités tutélaires de la maison, et que les Obi (ou cocos) avaient délivré une prédiction favorable, l'Oloricha rejoignait la foule des marcheurs dans la procession, qui continuait sa progression dans les rues du port, longues et étroites. La procession se terminait aux portes du cimetière, après de nombreux arrêts. Des Olorichas de toutes les parties de l'île faisaient chaque année le voyage pour Regla pour l'événement."

(Veillée funèbre avec les tambours lors du décès
de Pepa Herrera "Echú Bí")

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INTERVIEW D'ANDRÉS CHACÓN (suite et fin)

"J'ai la charge de DEUX JEUX DE TAMBOURS DE FUNDAMENTO. L'un est le premier tambour qui s'est fait à Pogolotti, municipio de Marianao, et l'autre est le petit frère du premier. Les deux jeux ont été fabriqués par HURTASIO JÍKE et par VICTORIANO TORRES 'ADJAÍ' 'EL LUKUMÍ'. Celui-ci était charpentier, peintre et métallier, et c'est lui qui a baptisé les tambours: le premier jeu en 1963 et le second en 1965. Les deux m'ont initié à Añá en 1963 quand ils ont fait le premier jeu pour moi. Mais ce jeu n'est pas entré en fonction avant 1967, quand j'ai reçu CHANGÓ, et ensuite ils m'ont présenté au batá et ils ont fait d'autres rituels pour moi.
Pour me remettre le jeu de tambour, je devais me présenter avec eux. Pour la première fois les ont joué: EL LUKUMÍ, MARIO ASPIRINA et HURTASIO. Le premier jeu qu'ils ont fait pour moi s'appelle 'IFÁ LACHÉ' (Ifá est possesseur du Pouvoir), et le second, né du premier, s'appelle 'OMO KARIBÍ' (Nous avons vu naître un enfant). On a construit deux jeux pour avoir un jeu de remplacement au cas où il arriverait quelque chose au premier.
Quand Hurtasio avait 90 ans, il jouait okónkolo, 'TITO' jouait le mayor et 'CHITO' le segundo. Selon Hurtasio, les trois étaient frères. El Lukumí est mort dans les années 1970, et Hurtasio après lui. (…) J'enseigne à mes neveux, les jumeaux ADRIÁN et ALIÁN CHACÓN, pour qu'ils soient les héritiers de mes jeux de fundamento quand je ne serai plus là. Ils ont quatorze ans (24 ans aujourd'hui). JUNIEL est un autre élève, de la famille des Aspirinas, et a treize ans (23 aujourd'hui), et je suis son parrain catholique. Ils savent jouer très bien, et quand ils auront trois ans de plus il faudra leur dire 'vous'. Ils ont une bonne écoute et de bonnes mains.
Je leur ai enseigné beaucoup de choses pour qu'ils suivent la discipline sans dévier, mais on ne peut tout enseigner, car il doit y avoir un respect envers les aînés. Dans cette musique il y a un moment approprié pour chaque toque, et il faut enseigner aux élèves à respecter le contexte, et aujourd'hui il y a beaucoup d'indiscipline chez les jeunes, par la faute de quelques anciens qui leur ont tout enseigné bien qu'ils étaient immatures. (…)
Il est inscrit dans les règles d'AÑÁ qu'il faut avoir recours aux anciens pour faire quoi que ce soit. On doit aller voir les padrinos et leur demander la permission de construire un nouveau jeu. S'ils disent que non c'est interdit. Aujourd'hui on fait de nouveaux jeux sans le dire à personne. Par exemple après que Jesús Pérez est décédé (en 1985), n'importe qui a fait un jeu de tambour. Moi, Andrés Chacón, le plus vieux joueur de tambour qui reste à La Havane, je dis qu'aujourd'hui personne ne sait fabriquer un jeu de tambours comme il se doit. Moi-même je ne dois pas le faire parce que je n'en ai pas les moyens. Je veux dire que aujourd'hui à Cuba il n'existe pas à Cuba un véritable OSAINISTE qui puisse nous aider à construire un jeu de tambours. Les Babalawos n'ont rien à voir avec Añá, pourtant ceux qui consacrent les batá aujourd'hui sont les Babalawos.
Dans les temps anciens les tamboreros étions très unis. Il y avait une confrérie et une solidarité entre nous. Quand PABLO ne jouait pas en cérémonie nous allions jouer avec MIGUEL, nous, les bataleros formions comme une société, et nous étions peu nombreux. Nous nous connaissions tous et nous avions du respect pour le tambour. À l'heure actuelle ce n'est plus ainsi, et par necessité financière nous ne nous connaissons pas et beaucoup ne respectent pas les anciens ni le fundamento du batá. Beaucoup de gens entendent le son des cloches, mais ne savent pas d'où il provient. (…)"

"Je suis l'un des derniers parmi les deux ou trois à qui El Lukumí a enseigné la musique arará. J'ai joué avec le plus grand des joueurs de tambours de Matanzas, MAYITO, le père de MAÑO (de Clave y Guaguancó), son jeu est le plus ancien jeu de tambours arará de Cuba. Du même tambour arará, MIGUEL ASINA m'a également enseigné. Maño, lui, continue à jouer. Je suis le seul à La Havane à détenir un jeu de tambours arará. Il y en d'autres à Perico, Jovellanos et Cárdenas. Ceux que je possède ont plus de cent ans. Ils ont une taille de six pieds. Quand j'ai commencé à les jouer le responsable en était VICTOR AGUERA, et son parent 'EL NEGRITO' jouait avec lui. El Negrito était de Perico mais vivait à Jesús María, et sa mère PILAR FRESNEDA était arará, de pays Dahomey".