vendredi 19 septembre 2008

Disparition de Roger Fixy


Vendredi 19 septembre 2008 à 12h20, le percussionniste Roger Fixy nous a quitté. Il avait été l'un des premiers (sinon le premier) à jouer des tambours batá en France.
Né dans la petite bourgade de Marigot à la Martinique, c'est à Paris, avec Christian Nicolas et Arnold Moüeza qu'il créera le tout premier groupe de musique afro-cubaine français: Macoubary.

(Foto: ©Iya asso.org)


Roger avait vu et entendu pour la première fois jouer des batá (et s'est définitivement passionné) en 1975, par Bill Summers, qui à l'époque était dans le groupe de Herbie Hancock.
Après avoir rencontré Bill Summers et travaillé avec lui, il fait son premier voyage à Cuba en 1984, à une époque où le tourisme était quasiment nul à Cuba, et où aucun Européen n'allait jamais pour étudier la percussion afro-cubaine. Après un séjour à La Havane vide de toute rencontre, et sur le point de rentrer dépité à Paris, il entend enfin le son des tambours batá, en prenant le petit déjeuner à l'hôtel où il logeait.
C'est alors qu'il tombe sur une répétition du groupe Alafia de Luis Chacón Mendivel, avec entre autres Mario "Aspirina" Jáuregui.
Riche de ces premiers contacts, il retournera plusieurs fois à Cuba étudier avec ceux-là, puis avec d'autres maîtres,
havanais
:
-Alberto Vilarreal, Alejandro Publes, Pancho Quinto, Román Díaz
et matanceros:
Daniel Alfonso, "Sandy" García Pérez, Jesús Alfonso

(Foto: Cd "Hommage à Yemayá et Ochún)



En 1987 il fonde avec Daniela Giacone le groupe Ilúyenkori, nom inspiré de celui d'un des premiers orchestres de rumba havanais: Luluyonkori de Giraldo Rodríguez. Ce groupe comprendra des percussionnistes tels que:
Arnold Moüeza, Emmanuel Bizeau, Olivier Congar, Jérôme Goldsmith, Rodolphe Blin ou Gilles Prémel.

Il faut bien comprendre qu'à la fin des années 1980 il était très difficile de trouver des disques de musique afro-cubaine, ou quoi que ce soit comme information sur ces styles, et que la moitié des enregistrements disponibles étaient issus des USA. Il fallait donc compter avec les déformations présentes chez les artistes américains, sans forcément avoir à sa disposition de réels points de comparaison avec Cuba.
À cette époque il n'était pas question de disques ni de Clave y Guaguancó, ni de Yoruba Andabó, ni même du Conjunto Folklórico Nacional. C'est Roger Fixy qui a jeté l'une des premières passerelles entre Cuba et la France, grâce doit lui être rendue pour cela.

(Foto: ©iluyenkori.com)


Roger étudiera les styles havanais et matanceros (tout comme Bill Summers). Consacré omo-añá (à Matanzas?) en 1992, il se verra attribuer par Amado Díaz Jr. un jeu de tambour de fundamento consacré en 1954 (probablement dé-sacralisé?) qui porte le nom de "Airakere" (le Petit Éclair), affilié à l'un des plus célèbres jeux de fundamento matanceros: "La Bomba Atómica", tambour de fundamento… "de duelas" (à douves!!).

Avec Ilúyenkori il enregistrera plusieurs albums dont:


-"Yakota" (Autoproduit, 1990), album dédié aux batá havanais et à la rumba, ré-édité en 1992 sous le titre:


-"Percussions Cubaines - Cuban Drums"
(Playasound PS 65084)



-"Cuba - Tambours Batá - Hommage à Yemayá et Ochún (Playasound PS 65138, 1994)
album contenant uniquement, comme son nom l'indique, des chants et des toques pour Yemayá et Ochún, avec des arrangements de voix inédits.


-"Tambours Métis - Cuban Drums" (Playasound PS 65218, 1999)
album contenant des créations originales à partir de chants traditionnels, avec basse, piano, flûte et saxophone, dont un ré-arrangement de chants pour Osáin qui passera en boucle sur Radio Latina.


-5 autres albums et/ou compilations contenant des samples et/ou des morceaux d'Ilúyenkori. Les samples de nombreux instruments traditionnels issus des collections nationales sont - nous le pensons - contenus dans ces albums, puisque Roger a réalisé une mission d'enregistrement pour l'État sur toute une série d'instruments du Monde entier.


Ces albums et ces instruments sont visibles sur le site http://www.iluyenkori.com

Avec Roger Fixy c'est tout un pan de l'histoire de l'afro-cubain en France qui disparaît, et tout l'esprit d'une époque également.
Il sera regretté par tous ceux en qui il a semé des graines, qui depuis sont devenus la seconde génération de percussionnistes afro-cubains en France.


Ibae ibae ntonú Roger Fixy…

6 commentaires:

IY a dit…

Très bel hommage Patrice que tu rends là à Roger. Moi, je fais partie de ceux qui l'ont découvert dans les années 8O, complètement par hasard, à l'époque où, à Paris, les musiciens bataleros se comptaient sur les doigts d'une main, comme tu le dis très justement dans ton papier.
Je ne remercierai jamais assez Roger, tout comme Daniela, pour m'avoir ouvert le chemin de la culture afro-cubaine, et celui de la danse yoruba plus particulièrement. Grâce à eux deux, en 1991, je suis partie à La Havane, suivre mon 1er stage de danse au Conjunto Folklorico Nacional, j'étais la première petite française à participer à cette inépuisable aventure.
Depuis, bien d'autres auront pousser cette porte magique.
Vendredi dernier, sous un soleil automnal resplendissant et un ciel d'un bleu limpide, les amis et élèves musiciens de Roger ont fait résonner le son des batas dans tout le cimetière parisien, le Père Lachaise ne s'en est pas encore remis!
IY

patricio a dit…

Merci beaucoup pour ton message, Iy. J'avais passé une soirée avec Roger en décembre lors des rencontres Ékpe-Abakuá au Musée du Quai Branly.
Nous avions écouté ensemble le nouveau disque de Bwa Caïman.
En fait, je ne l'avais pas revu depuis 1990. Je n'étais pas au courant de ses problèmes de santé, et je l'avais trouvé plutôt bien.
Mon blog prend malheureusement ces derniers temps un peu trop l'allure d'une chronique nécrologique. Il est vrai que depuis deux ans ça a été une réelle hécatombe parmi les percussionnistes afro-cubains.
Encore merci pour ce message - ils sont rares…
Patrice

Anonyme a dit…

Patricio,
Merci infiniment pour la lumière sur Roger et la rémanence de son action.
Moi aussi ancien élève, d'abord de tumba en 1989 puis de bata en 1996 en accompagnement de ma femme Yannick introduite à la danse lucumi par Daniela.
L'esthétique musicale lucumi imprime alors définitivement sa marque.
Et puis très naturellement, Roger devient tout à la fois un grand ami et un grand frère.
Guadeloupéens, nous retournons au pays en 1997 sans jamais perdre le contact, à 7000 km, avec la rue Blanche (Bagnolet).
Sa disparition laisse un grand vide mais la petite graine qu'il a semé en Guadeloupe germe sereinement.

L'annonce sur www.gensdelacaraibe.org

Une de ses récentes rumba sur youtube : http://www.youtube.com/watch?v=EKyyAf44pd0

Anonyme a dit…

Salut Patrice,

Bel hommage à Roger. Quelle perte pour les batas...
Et une fois encore bravo pour ton travail sur la musique cubaine
keep in touch

Alexandre Jomaron

Anonyme a dit…

Bon voyage, Roger et merci pour ces moments de partage musical passés avec le groupe Kalindi Ka en Guadeloupe et à Paris.Ton élève poursuit ton travail...ML DAHOMAY

Anonyme a dit…

Merci Patricio pour avoir mis en page l'oeuvre de Roger, si tu n'étais pas là, les archives de la musique yoruba seraient pleines de poussière. J'ai trop d'images dans la tète concernant Roger pour ne pas penser a lui tous les jours qui passent, c'était un grand frère, un super musicien et surtout un ami, un type d'une gentillesse et d'une grande générosité. paix à ton ame Roger, tu nous manques déja beaucoup trop...
et merci Patricio.
ben