(La photo de Harold Courlander sur le site Fidelseyeglasses)
C'est une nouvelle fois sur le remarquable site de Mark Sanders:
(http://fidelseyeglasses.blogspot.com)
que nous avons trouvé cette incroyable photo ainsi créditée ainsi (d'après John Amira):
de gauche à droite,
-Pablo Roche Cañal "Okilakuá"
-Andrés Roche "Sublime" (le père de Pablo)
-Jesús Pérez Puentes
La photo provient du livret original du disque "Cult Music of Cuba" de la firme Smithsonian Folkways, mais d'une version ancienne du disque, à l'époque en 78 tours. Rappelons que l'on peut télécharger gratuitement tous les (magnifiques) livrets des disques Smithsonian Folkways (au format pdf) sur le site internet de cette firme. Cliquez ICI pour accéder aux disques concernant Cuba sur leur site et aux livrets téléchargeables.
C'est sur la page de l'album "Cult Music of Cuba" (Folkways FE 4410) ICI
que nous avons pu extraire la photo ci-dessous, légèrement différente de la précédente, provenant du livret de 1949, disponible au format pdf:
(Version légèrement différente de la précédente photo)
C'est l'anthropologue américain Harold Courlander qui aurait pris ces photos dans les années 1940. Celui-ci a enregistré l'intégralité du contenu du disque "Cult Music of Cuba". Il est difficile de dater précisément la photo de nos bataleros, même si l'on sait que Courlander a réalisé un voyage d'étude à Cuba en 1941. Ce premier voyage à Cuba n'aurait concerné que la région de Matanzas, dans laquelle on trouve - bien plus qu'à La Havane, des tambours batá utilisant des tirants en corde, comme c'est le cas sur la photo qui nous intéresse.
Il serait intéressant de savoir si l'essai de Courlander "Musical Instruments of Cuba" (qui semble ne jamais avoir été publié) contient ou non des photos de tambours batá, et particulièrement la photo qui nous intéresse ici.
John Amira affirme que le musicien de droite sur la photo est Jesús Pérez. La position caractéristique des jambes de celui-ci, que l'on retrouve sur d'autres photos, semble confirmer cette hypothèse.
(Jesús Pérez, années 1930)
Le visage de chérubin de Jesús Pérez jeune que l'on voit sur la photo d'Ortiz de 1937 n'est pourtant pas ici reconnaissable. La photo - s'il s'agit réellement de Jesús Pérez - doit être bien postérieure à 1941.
(Jesús Pérez, années 1950 et 1960)
Le front fuyant de Jesús Pérez mis en évidence sur ces nouvelles photos n'est pas là non-plus reconnaissable. Le musicien qui - à notre avis - sur la photo de Courlander ressemble le plus à Jesús Pérez est le musicien de gauche.
(Pablo Roche)
La bosse caractéristique sur le front de Pablo Roche, mise en évidence sur les photos ci-dessus, n'est pas non plus reconnaissable.
S'il est possible que Pablo Roche soit le musicien de gauche, ce qui semble étrange car Pablo Roche semblait plus grand, il est très étonnant que le musicien du centre soit son père, tant la différence d'âge entre les deux ne semble pas flagrante. Nous ne connaissons pas la date de naissance d'Andrés Sublime, mais si l'on peut supposer qu'il aît eu au moins 20 ans dans les années 1910, il serait sur cette photo âgé d'environ 60 ans, ce qui ne semble pas être l'âge du musicien central sur la photo de Courlander.
Notons que la position de jeu de ce mayorcero est pour le moins étrange, avec un tambour très décalé et désaxé vers la gauche. Même si 'on jouait moins fort' à cette époque et que l'amplitude des gestes était moindre, on peut supposer que la position serrée des musiciens soit due à la pose pour la photo, et non à une situation réelle de jeu.
Les tambours ont également une forme très particulière, et ressemblent à certains tambours vus dans "Los Instrumentos de la Música Afrocubana" de Fernando Ortiz. Il est possible que ces tambours à cordes (chose rare à La Havane à l'époque) proviennent de la collection personnelle d'Ortiz, et il est difficile de croire qu'on aît pris à cette époque des photos de tambours de fundamento 'en activité'.
(La même photo telle qu'elle apparaît sur le livret de la ré-édition du disque daté de 1949)
Pour identifier clairement ces musiciens il faudrait montrer ces photos à un musicien encore en vie ayant bien connu les supposés protagonistes à cette époque: Mario Jáuregui pourrait sans doute répondre à cette question.
Comme d'habitude, nous vous encourageons à nous faire part de vos commentaires sur cette question sans réponse, en cliquant sur l'option ci-dessous.
(1er juin 2009)
Nous remercions ici Ivor Miller et Daniel Chatelain, qui nous ont permis d'avoir connaissance du document d'Harold Courlander intitulé "Musical Instruments of Cuba". Dans la présentation de cet essai de 20 pages, Courlander nous dit lui-même que:
"Ces notes sur les instruments de musique cubains ont été écrites lors d'une expédition dont le but était de réaliser des enregistrements sonores - sponsorisée par l'American Council of Learned Societies et par l'Archive of Primitive Music de l'Université de Columbia - et fut principalement limitée à la province de Matanzas".
Ce document contient une seule photo où apparaissent des batá, que nous reproduisons ici:
(Foto: ©Harold Courlander)
Il s'agit bien évidemment d'un okónkolo, mais pas du même que sur la photo polémique. Par contre encore une fois sur cette nouvelle photo notre okónkolo (que Courlander nomme "Ikónkolo") fait usage de tendeurs en corde et non en cuir comme à La Havane.
Plus loin dans ces notes, Courlander mentionne un "cycle de 16 chants pour les oríshas, ou divinités, appelé un orú". Ce fait confirme, s'il en était encore besoin, qu'on est bien à Matanzas, et non à La Havane.
Par contre, quelques illustrations (en fait des dessins) figurant dans ces notes sont visiblement extraites d'ouvrages cubains (d'Ortiz ou d'autres), et du coup ce fait n'exclut pas l'origine havanaise de notre photo polémique.
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Daniel Chatelain et Ivor Miller nous ont permis d'avoir accès à trois documents de Harold Courlander et outre:
1°- "Musical Instruments of Cuba" (déjà décrit plus haut)
nous avons eu la possibilité de consulter:
2°- "Abakuá Meeting in Guanabacoa", originellement paru en octobre 1944 dans "The Journal of Negro History" (Vol.29, n°4)
et
3°- un extrait de "Resound, a Quarterly of the Archives of Traditionnal Music" (volume III n°4, octobre 1984), qui contient un article de Courlander nommé "Recording in Cuba in 1941".
Alberto "Alfredo" Zayas
Le second document nous prouve que Courlander a bel et bien séjourné à La Havane pendant son voyage de 1941. Son principal contact à Cuba était Fernando Ortiz, qui lui a présenté Alberto Zayas (qui enregistera en 1956 le premier disque de rumba de Cuba). Alberto Zayas est souvent appelé (ou s'est souvent fait appeler) "Alfredo" ou "Alfredito", comme dans le document de Courlander: nous avons fini par penser que c'était par recherche de prestige, car c'était le nom de l'un des présidents de la jeune république de Cuba. En tout cas nous pensons qu'il s'agit bien du même Alberto Zayas qui deviendra célèbre par la suite.
Courlander relate comment Zayas l'emmène dans une cérémonie abakuá (sans pour autant pénétrer dans le cuarto fambá).
Le troisième document nous en apprend encore plus, car il s'agit ni plus ni moins d'une sorte de carnet de voyage dans lequel Courlander raconte tous ses trajets à Cuba, toujours lors de cette expédition de 1941. Il y raconte toutes les péripéties vécues à Matanzas, Jovellanos et Pedro Betancourt, mais s'étend très peu sur son séjour à La Havane. Il nous y donne précisément la durée de son séjour à Cuba: quatre semaines. Il nous dit également:
"In Havana I had a number of meetings with Fernando Ortiz, after which he put me in the reliable care of Alfredo Zayas, a young man who was active in the Lucumí cult and a member of the Abakwá secret fraternity".
ce que nous traduirons ainsi:
" À La Havane j'ai eu plusieurs entrevues avec Fernando Ortiz, après quoi il m'a confié aux bons soins d'Alfredo Zayas, un jeune homme qui prenait part activement au culte lukumí et qui était membre de la fraternité secrète abakuá".
Si Courlander a eu plusieurs entrevues avec Ortiz et des relations de confiance avec Zayas, il est possible que l'un ou l'autre lui aît permis de prendre notre fameuse photo et d'enregistrer - c'était le but principal de son voyage - des musiques rituelles et notamment des tambours batá. Le problème est que si c'était réellement arrivé, pourquoi alors Courlander ne l'a-t'il jamais relaté?
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Pour compléter notre investigation nous allons maintenant nous attacher au contenu du disque 'Cult Music of Cuba", afin de vérifier s'il contient ou non des enregistrements de batá havanais et/ou matanceros.
L'article sur le site de la Smithsonian Folkways nous prévient bien que les enregistrements contenus dans le disque ont été réalisés "à La Havane, Guanabacoa, et Matanzas en 1940" (sic), tous par Harold Coulander.
Il nous faut tout d'abord tout au moins rectifier les erreurs contenues dans les titres des morceaux, en effet:
1- "Songs to Legba and Yemaya"
Le livret du disque nous dit que "parmis les Orisha invoqués (sont présents), Legba, Yemayá et Oko".
Il s'agit en fait de chants arará, et si le premier peut-être attribué à Yemayá, le second est un chant pour Asoyi. Le troisième est un chant pour Hebbioso, et le chanteur soliste doit chanter également le choeur, et a bien du mal à faire en sorte que l'unique choriste chante correctement la partie du choeur.
2- "Lucumi Song"
Les notes du site Folkways ajoutent: "Two Abakwa society male Lucumi singers with iya drum and atchere" (sic). Le livret du disque ajoute que cet enregistrement a été réalisé "non-loin de La Havane".
Il s'agit de chants pour Osáin. Comme dans le premier extrait, l'instrument décrit comme "atchere" est probablement un chékere.
3- "Song to Oricha Oko"
Ce chant rarissime est peut-être pour Changó. Peut-être s'agit-il de la femme nommée Salazar que Courlander a enregistré à son hôtel à Jovellanos, comme il le décrit dans "Recording in Cuba in 1941".
4- "Abakwa Song"
Cet enregistrement aurait été réalisé à Guanabacoa, sans doute pendant la cérémonie auquel Alberto Zayas a convié Courlander, comme il l'a décrit dans "Abakuá Meeting in Guanabacoa".
5- "Song to Orisha Chango"
Il s'agit en fait très clairement de chants et de tambours de Palo. D'où la confusion vient-elle? Sans doute de Courlander lui-même qui renchérit dans le livret du disque: "le chant, chanté partiellement en espagnol est pour l'Orisha Chango (…). La partie du choeur est constistuée essentiellement par les mots Buena Noche, Buena Noche".
6- "Abakwa Song"
À nouveau il s'agit de palo.
7- "Djuka Drums"
Pas de chant mais seulement des tambours dans cet enregistrement, effectivement sans doute de Yuka.
8- "Lucumi Drums"
Toque a Inle par trois tambours batá, peut-être ceux-là même qui figurent sur notre photo. Deux vires seulement, comme à Matanzas, mais il pourrait s'agir d'un toque havanais tronqué, ce qui est peu probable. Dans les notes accompagnant le disque Courlander fait référence à la photo en question.
9- "Djuka Song"
Il s'agit à nouveau de palo.
10- "Song to Chango"
Cette fois-ci il s'agit bien de chants et de batá pour Changó. L'extrait ne permet pas de juger s'il s'agit de style havanais ou matancero, mais nous pencherons pour l'option havanaise. Les voix du choeur ressemblent plus aux voix d'un groupe professionnel qu'à un choeur traditionnel.
11- "Song to Obatala"
Mêmes remarques que pour l'extrait précédent.
En conclusion, rien ne nous permet, malgré nos recherches, d'apporter des précisions sur la question posée au début de l'article. Seule une certitude permet de douter fortement de la présence des musiciens cités sur la photo: elle aurait bien été prise en 1941. Or sur les clichés de la fin des années 30 Jesús Pérez ne ressemblait pas du tout au musicien présent sur la photo.
Nous continuerons donc à douter fortement des affirmations de nos amis Mark Sanders et John Amira - sans vouloir en aucune manière dénigrer leurs compétences.
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Outre le débat et les recherches que nous effectuons à propos de notre photo-mystère, nous avons découvert dans "Musical Instruments of Cuba" de Courlander quatre autre photos étonnantes:
-1° un cajón-quinto pyramidal:
(Foto: ©Harold Courlander)
Même s'il n'est pyramidal que d'un seul côté, c'est quand même la première fois dans l'histoire qu'il est fait mention d'une telle forme pour un cajón, surtout à Matanzas et surtout… en 1941!!
-2° une mini-marímbula:
(Foto: ©Harold Courlander)
Si nous avons déjà vu des instruments d'une si petite taille ailleurs qu'à Cuba, et si nous avions déjà vu dans l'île de petites marímbulas (sur lesquelles il n'est pas possible de s'asseoir), c'est quand même la première fois, et encore une fois surtout à cette époque, que nous découvrons semblable instrument cubain.
-3° des chékere… de métal!
(Foto: ©Harold Courlander)
Les canelures sur le corps métallique des instruments font inévitablement penser à des boites de conserve. Ont-elles été chauffées, déformées puis assemblées? La similitude des fonctions (domestiques et rituelles) des deux éléments: calebasse et boite de conserve, devient frappante sinon amusante.
Il est incroyable qu'aucun ouvrage cubain (à notre connaissance) ne fasse mention de tels chékeres. À la lecture d'un document américain généreusement mis à notre disposition par Ivor Miller, "Resound, a Quarterly of the Archives of Traditionnal Music" (volume III n°4, octobre 1984), il apparaît que ces güiros métalliques ont été photographiés par Courlander lors d'une fête dans "la maison de la famille Salazar à Jovellanos". Il est probable que les documents sonores enregistrés par Courlander de ces güiros métalliques soient conservés dans quelque université américaine, mais ils ne figurent pas dans le disque "Cult Music of Cuba".