dimanche 10 décembre 2006

Histoire des Tambours Batá de l'ile de Cuba: - 3/7 - Matanzas: de Carlos Alfonso à Chacha Vega

Crédits photo: inconnus


Toujours selon Mason, à Matanzas "il existe trois autres jeu créés par Filomeno García "Atandá" qui méritent d’être mentionnés":

L’un d’eux, fabriqué pour les lukumí de l’ingenio San Cayetano, existe encore aujourd’hui, et les tambours sont toujours joués. Ils ont été la propriété de Carlos Alfonso, onichangó et olubatá. Carlos Alfonso fut l’un des plus grands tambourinaires de son époque, et était également investi du savoir nécessaire pour jouer les tambours arará en rituels. On dit également de lui qu’il était un des très rares hommes à Cuba à pouvoir jouer les tambours d'Olókun.

Le second jeu construit par Atandá fut créé pour Eduardo Salakó. (ndt: Eduardo Salakó avait la réputation de faire “parler le tambour”, dans un langage compréhensible par les lukumí. On dit qu’il pouvait commander à boire ou à fumer rien qu’en jouant le tambour). "Salakó était Babalocha, omo Obatalá, et membre du "Cabildo Lukumí" de Matanzas. Il était créole, descendant de lukumí, et un fameux tambourinaire. Il était également Olosáin, Mayombero en Congo, et maître dans d’autres rites afro-cubains. Quelques-uns affirment que ce second jeu de tambours aurait été fabriqué par Salakó lui-même, alors qu’Atanda était déjà mort. Salakó et le fameux Babalawó Obadimeyí, “owó merindilogún” (“seize cauris”), furent parmi les grands architectes du culte yoruba moderne à Cuba. Salakó mourut après avoir joué dans un rituel de danse masquée pour Olókun, en 1913 ou 1914. Ses tambours batá ne furent jamais rejoués depuis.

Le troisième jeu d'Atandá fut construit pour Manuel Guantica, à propos duquel il est malheureusement très difficile d'obtenir des informations" (Mason - id).

Crédits photo: Daniel Genton


Dans une lettre au musicologue américain Miguel W. Ramos, l'historien matancero Israel Molinar nous apprend que:
"Le 4 décembre 1873, un document officiel de police rapporte au Gouverneur Civil de la ville de Matanzas qu'un incident notoire a eu lieu au Cabildo Santa Bárbara, situé Rue Manzaneda, au coin de la rue Velarde, où Ño Remigio Herrera "Addéchina" a joué trois étranges tambours qu'il a appelés: batá".

Miguel W. Ramos nous dit également que:
"Entre 1890 et 1900, sur une requête des Orichas exprimée via l'oracle, les Lucumí commencèrent à partager leurs connaissances avec les Arará. C'est Ma Monserrate González qui commence à leur apprendre le système de divination avec les cauris ou diloggún, et, en retour, ils ont appris aux Lucumí les secrets de Babalú Ayé, Nanumé, Nana Burukú, et d'autres divinités Arará".

Le 16 décembre 1901 naît dans la province de Matanzas Nicolas Valentín Angarica (Oba Tolá), fils de Rosalina Angarica and Ramón Rubio. La mère de Ramón était d'ascendance Lucumí. Les parents de Rosalina venaient directement de la région d'Oyó. Rosalina avait même gardé son nom de naissance Lucumí: "Ayobo". Ramón et Rosalina, vivant dans le quartier Carlos Rojas de Matanzas, n'étaient pas mariés, et Nicolás garda le nom de sa mère. Il est le chef de file d'une des grandes familles de musiciens, qui tous vivent aujourd'hui à La Havane. Connu pour avoir écrit le premier livre sur la religion yoruba, en 1950: “El Lucumí al Alcance de Todos”. Nicolas Valentín Angarica, Obatola, est mort en 1963.

Itótele ayant appartenu au
Cabildo Changó Tedún de La Havane
(tambour confisqué entre 1920 et 1940 par les autorités)
Crédits photo: Museo Nacional de La Havane


"Au cours du XXe siècle, de nouveaux jeux consacrés furent construits. Le premier facteur de cette époque fut Adofó (Alejandro Alfonso), de Saravilla, à Matanzas, qui mourut en 1946. Il fabriqua trois jeux connus.

Le premier jeu fut destiné au Cabildo lucumí du quartier nommé "Majaqua" à Unión de Reyes. Ces tambours, à la mort d’Adofó, furent remis au célèbre tambourinaire Miguel Somodevilla.

Le second jeu construit par Adofó fut destiné au populaire (et riche) Cabildo havanais Shangó Dé Dún (ou Changó Tedún, ndt).

Le troisième fut pour l’olúbàtá Nicolás Angarica (“Oba Tolá”. Son fils, “Papo” Angarica, continue la tradition aujourd’hui, à La Havane.

Un quatrième jeu fabriqué par Adofó est à l’heure actuelle, à Matanzas, en possession de l’olúbàtá Esteban “Chachá” (Vega) Domingo, “Ochún Ladé”. Ces tambours ont appartenu à Carlos Alfonso, et avant lui à ses grands-pères, des lukumí de l’ingenio San Cayetano cité plus haut. Ce jeu serait donc le second jeu dont Carlo Alfonso a hérité de San Cayetano (Le premier avait été fabriqué par Atandá…). Quand la plupart des vieux lukumí de San Cayetano furent décédés, le jeu fabriqué par Adofó retourna au Cabildo Shangó Dé Dún" à La Havane.

Felipe García Villamil


Felipe García Villamil “Ogundeyí”, aujourd'hui aux États-Unis, a été initié à Añá en 1944 (à l’âge de 11 ans). Il a apporté à Mason beaucoup de renseignements sur l’histoire des tambours à Matanzas.
En 1938 son grand-père, Noblas Cardenas avait au moins 90 ans.
En 1945 Carlos Alfonso avait à peu près 50 ans, et serait mort quand il avait 70 ans (en 1965?).

En juillet 1987, Isaac Calderón, était à 83 ans le plus vieil olúbatá de Matanzas - et peut-être de Cuba. Il était dans le “tambour” de Chachá Vega. Il jouait les batá depuis 1927, et avait officié avec les célèbres Pablo Roche, Noblas Cardenas, Eduardo Salakó, Carlos Alfonso, Fermín Erelia, Vicente Erelia, Ernesto Torriente (“Negro Chamblelona”), et Bonifacio “Patato” Herrera Villamil. Isaac dit encore que dans les premiers temps, à Matanzas, lui-même ne connaissait que deux jeux consacrés:

Celui fabriqué par Atandá que possédait Carlos Alfonso, et celui de Bonifacio “Patato” Herrera Villamil qu’avait construit Noblas Cardenas.

Il mettait l’accent sur le fait qu’en ce temps-là les tambours étaient consacrés par un Olosánin (Osáiniste), et non par un Babalawó comme aujourd’hui. La plupart des joueurs de tambour de cette époque n’étaient pas initié à un Oricha, mais avaient “les mains lavées” et se consacraient à Añá, lors d’une cérémonie spéciale, également pratiquée par un Olosáin.

Bembé pour Changó (Crédits photo: inconnus)


Dans la seconde moitié du XIXe siècle Noblas Cardenas “Obankolé” est arrivé d’Oyó. Il était Babalawó et prêtre d’Obàtálá. Avec Mauricio Piloto, prêtre de Changó (“Abíawo Ochabíowo”), il créa le premier jeu de batá consacré de Matanzas, nommé “Añábí Oyó” (“Añá donne naissance à Oyó”). Ce jeu était joué exclusivement pour le Cabildo de "San José & Santa Teresa", fondé par Noblas Cardenas.

Un autre jeu, nommé “Ilú Añá” (“le tambour d’Añá”) fut construit. Il était joué dans les autres maisons de Saint. Des mains de Noblas Cardenas, les deux jeux passèrent dans les mains de Bonifacio “Patato” Herrera Villamil, qui était prêtre d’Agayú. De Bonifacio les tambours passèrent dans les mains de Dionisio “Pipi” Olloa, qui les lègua à Tano Bleque. C'est ce dernier qui enseigna le tambour à Felipe Villamil.

Tano Bleque était le beau-père de Ricardo Fantoma(s), mais ils ne vivaient pas ensemble. Quand Tano est mort, Ricardo récupéra les tambours, sans savoir que Tano avait retiré l’aché (le petit paquet contenant une préparation spéciale qui est placé dans le tambour iyá de chaque jeu consacré, ndt) du jeu “Añá bí Oyó”. Tano avait donné des instructions pour que l’aché soit transmis à Felipe Villamil, ce qui fut fait. Felipe est parti aux USA en 1980 (“mariéliste”?, ndt). Les tambours avec leur aché y sont arrivés en 1982.

Le second jeu passa de Ricardo Fantoma à son fils Julio Fantoma Marcos Suárez, et il est toujours joué à Matanzas". (…)

Jesús Pérez, Mario "Papo" Angarica et
Esteban "Chachá" Vega
Crédits photo: Gerald Gerrard, pour Mario Angarica
(photo tirée de Orin Oricha de J.Mason)


"Il est important de savoir que Chachá est unanimement considéré comme le plus grand olubatá vivant aujourd’hui à Cuba. Cette considération est basée, comme on le fait au Nigeria, à la fois sur son âge, sa technique, sa connaissance de la tradition, sa capacité à satisfaire les Orichas et les ancêtres, et à communiquer plus de choses aux gens qui l’écoutent, dans le message de son tambour. Comme pour ses prédécesseurs, et pour ses successeurs, la célébrité est mesurée au nombre de fois où on l'engage, où on l’invite à jouer, et au statut de ceux qui l’invitent. Chachá est né en 1925 et a appris à jouer le tambour avec Miguel Achira et Carlos Alfonso (avant d'être élève de Pablo Roche?, ndt). (Mason - id).

À la lecture de l’exhaustif (mais lui aussi malheureusement épuisé) ouvrage “Instrumentos de la Música Folclórico-popular de Cuba”, en 2 volumes, publié par le CIDMUC en 1997, on retrouve, outre force détails provenant de l’œuvre multiple d’Ortiz, encore d’autres informations, elles-aussi soit complémentaires, soit contradictoires vis-à-vis de Mason, à l’article “Tambores Batá” (p.157):

“Tous ces jeux de batá (de Matanzas, construits par Atandá) furent fabriqués après ceux faits et consacrés initialement à La Havane. Cependant, à la lumière de récents entretiens avec les olubatá matanceros Amado Diaz Alfonso et Esteban Vega “Chachá”, tous deux estiment que le batá est né à Matanzas - en particulier dans une localité proche du village de Cidra, et qu’à partir de là il se serait diffusé vers d’autres zones du territoire matancero et vers La Havane".

(Crédits photo: inconnus)


"Pour Amado Diaz, la tradition de facteurs de tambour et de religieux matanceros est très liée à sa famille, puisque le premier jeu de fundamento - selon ce qu’il affirme avec certitude - aurait été fabriqué par son arrière-grand-père, “Tele Maddo” (Clemente Alfonso) pour l’ingenio San Cayetano de Cidra, (province de) Matanzas, en 1874. Il donne de plus la date précise du 16 avril 1874, à laquelle ces tambours furent joués “devant les esclaves” (…).
Après Clemente Alfonso, Adofó (Alejandro Alfonso) et Adaché (Eduardo Alfonso) continuèrent la tradition familliale.
Fernando Ortiz fait référence à Adofó comme “le premier fabricant de tambours de l’ère républicaine” (après 1901).

Dans les années 1950, Amado Diaz construisit et consacra pour sa famille le jeu qu’on appelle “la Bomba Atómica” ou simplement “la Atómica”, en référence à sa force religieuse et musicale. Joué pour la première fois en 1956, ce jeu passera à la mort d’Amado dans les mains de son fils Amadito Diaz". (…) (Mason - id).

On peut entendre Amado Diaz jouant Iyá dans l'enregistrement d'oro seco matancero figurant dans deux disques quasiment identiques:
-Cantos de Santería (Artex 090, 1994)
-Sacred Rhythms of Cuban Santeria (Smithsonian Folkways 40419, 1995)
Ces deux disques sont disponibles sur nombre de sites.

À Jovellanos (province de Matanzas), il existe un autre jeu de batá appartenant au tamborero Gumersindo Hernández, surnommé “Bonkito”, et dont le nom de religion est “Agófokas”. Ces tambours furent consacrés à Añá en 1950 par un olubatá de Matanzas appelé “Tano (Bleque)”. (Ortiz - Los Tambores Batá).

Pochette du vinyl
"Antología Egrem de la Música Afrocubana"
vol.II, Orú del Igbodú (1977); (Crédits photo: CIDMUC)
La photo (inversée) représente un des tambours du matancero Ricardo Suárez "Fantomas",
chez qui l'album a été enregistré


"La présence des tambours batá s’est localisé seulement dans les provinces de La Havane et Matanzas, principalement dans leurs capitales. (…) (Lydia Cabrera limite les cultes yoruba aux "quatre provinces de l'ouest", ndt).
En confrontant les nombreux témoignages, il apparaît que:
“à Nueva Paz (situé à 50 kms au sud de Matanzas, ndt), il n’y avait ni tambours batá ni tamboreros, mais il y avait des cérémonies, et des ensembles de tambours venaient de Matanzas. Fantomas était le musicien avec le plus important en termes de fundamento, et c’était lui qui venait jouer à Nueva Paz, à chaque fois qu’on y faisait une cérémonie.
Dans les petites bourgades de province - jusqu’à Camagüey et Florida - on avait recours aux “tambours” de Jesús Pérez, de (Nicolás?) Angarica, de Fermín (Basinde), de Gustavo (?) et de (Andrés) Chacón, qui venaient tous de La Havane et à ceux de Fantomas, d’Amado (Diaz), de Chachá (Vega) ou de Cuchó (?) qui venaient de Matanzas." (…)

"Le premier jeu de fundamento qui joua à Santiago fut celui de Fantomas en 1950. Actuellement on dénombrerait environ 16 jeux de tambours à Santiago, dont le premier aurait été amené en 1962 par Milián Galí (qui a vécu à Matanzas et à La Havane, ndt). (…)
Dans la province de Villa Clara, il existe depuis 1962 un jeu de tambours appartenant au Cabildo Santa Bárbara de Sagua la Grande”.

Raúl Diaz et Giraldo Rodríguez
(Crédits photo: Fernando Ortiz)


Grâce à ces trois sources compilées (Mason, Ortiz et l'ouvrage du CIDMUC), et aux autres sources, nous voici maintenant en possession de nombreux éléments quand à la chronologie des évenements, et aux protagonistes (olubatá et facteurs de tambours).
Notre enquête sera complétée par les trois articles qui suivent.

Regla, Guanabacoa et Matanzas apparaissent nettement comme les trois noyaux les plus importants.
Ajoutons encore que nombre de joueurs de batá matanceros ont migré à La Havane, malgré l'opposition de style entre les deux foyers.
On peut se féliciter que le style de batá matancero soit encore vivant, au moins dans la religion. Cette situation implique le maintien de sa tradition musicale. Beaucoup de bataleros matanceros ont, répétons-le, émigré à La Havane. Beaucoup y ont appris le style havanais, pour pouvoir jouer à La Havane. Mais, en tant que percussionnistes non-matanceros, et à plus forte raison non-cubains, on peut être amené à se poser la question; dois-je étudier (en plus) le style matancero?
On peu penser que peu de Cubains ont fait cette démarche. En dehors de Cuba, on peut d'autant plus se poser la question que, d'une part:
l'apprentissage des batá est très fastidieux (à cause essentiellement de l'étendue du répertoire), et d'autre part:
on ne peut guère espérer gagner sa vie en jouant ce tambour.
Rares sont ceux qui s'y sont intéressés. Citons l'américain Bill Summers (qui a édité un relevé d'oro matancero dans son ouvrage "Studies in Batá"), et les français Roger Fixi et Pascal Parent.

Les théories de certains matanceros s'opposent à d'autres, havanaises, quand à la genèse des premiers jeux de tambours.
On ne peut que tenter de comparer ces sources, en se contentant de les juxtaposer.

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