jeudi 24 janvier 2008

Les Méthodes de Tambours Batá: numéro trois - The Music of Santeria


Média: Partitions et cd audio
Langues: Anglais
Note: 18/20
Édition: White Cliffs Media 1991
Seconde Édition: White Cliffs Media 1999

Sans doute la plus ancienne méthode de tambours batá commercialisée, mais certainement pas la moins bien réalisée, ni la moins intéressante. Elle concerne l'orú seco de style havanais, bien qu'elle se revendique curieusement du "style américain", celui que l'on joue dans les cérémonies à New York. C'est sans doute ce qui a joué en sa défaveur en Europe, puisque la plupart des gens se sont méfiés des informations qu'elle contenait, pensant que son contenu était différent de ce que l'on peut trouver à Cuba. En fait, ce qui en fait justement un ouvrage de grand intérêt est le fait qu'on y trouve d'anciennes manières de jouer, qui ont quasiment disparu à La Havane. Comparez-donc la façon dont joue Andrés Cruz le toque Latopa à Eleguá dans le film "Historia de un Ballet" (1962) - on peut en voir les extraits sur ce blog - et la transcription du toque ci-dessous, et vous verrez qu'il s'agit de la même manière de jouer!!!

Transcription du toque à Eleguá "Latopa"


Les auteurs sont Steven Cornelius, un percussionniste américain ayant enseigné à l'université de Madison (Wisconsin) et professeur au BGSU College of Musical Arts (Ohio), et John Amira, un autre percussionniste ayant étudié (et joué) les batá aux USA depuis le début des années 1960. Nous reparlerons plus longuement de John Amira dans un futur article sur la méthode de batá (à la fois havanaise et matancera) de Bill Summers "Studies in Batá, Havana to Matanzas".

John Amira, photo Mark Sanders


Steven Cornelius


Elle contient 40 pages de notes, en préambule à la partie contenant les transcriptions (de plus de 80 pages). Dans ces notes, divisées en trois chapitres (contenant de nombreux sous-chapitres), soit:
-Le Contexte Historique (Historical Background)
-L'Ensemble Instrumental (The Instrumental Ensemble)
-La Structure de la Musique (Musical Structure)
un grand nombre de sujets sont abordés, sur la religion, les Orichas, l'histoire des batá à New York, les tambours et leur accord,
le déroulement des cérémonies, le concept de la clave, le principe des appels et des conversations, les frappes et les modes de jeu, les transcriptions et les consignes pour la structure des toques. Pour une fois, on précise comment se terminent les toques, ce qui est souvent omis dans les autres ouvrages.

La méthode de notation est simple, utilisant des losanges pour les "touches", points d'appui faisant partie intégrale des toques, mais jouées "piano". Le fait que ces "touches" soient présentes est également d'un grand intérêt, puisque des gens comme Mario Jáuregui les incluent dans leur jeu. Elles constituent l'équivalent havanais des "frappes supplémentaires" figurant dans le jeu matancero.
Les auteurs proposent également plusieurs versions des toques à Osun, à Oricha Oko, et à Oyá, qui proviennent de différents styles havanais. Il semble que selon les éditions anciennes de cet ouvrages (une version de "petit format" a été également commercialisée, de la première édition - 1991), les secondes versions des toques ne soient pas forcément présentes.
Un second toque à Agayú, que certains appellent parfois "Agayú Chola" est également présent. C'est le toque que joue Román Díaz dans le cd Wemilere.
La clave est systématiquement écrite comme référence en début de toque, ce qui n'autorise aucune ambigüité quand au sens des toques. Ce point a été trop souvent négligé dans d'autres ouvrages.
Très peu de points de détail des transcriptions peuvent être mis en doute: il manque bien une croche en anacrouse du second toque à Babalú Ayé, comme dans les toques à Osun, à Oricha Oko et à Obba (les trois Kán-kán de l'oro seco havanais), Cependant, si on ne trouve rien sur la croche manquante dans Babalú-Ayé, dans les notes explicatives préalables aux transcriptions, il est précisé que ces croches manquent pour les trois derniers toques - encore faut-il pouvoir lire l'anglais.
La llamada du toque à Oyá est étrange: elle ressemble trait pour trait à celle du premier toque à Obatalá, qui n'est pratiquement plus joué dans l'oro seco havanais.
Le cas du toque à Ochún est encore ici problématique, et on observe un temps de décalage entre l'ouvrage précédemment cité et celui-ci, encore une fois: le débat est ouvert…

Bien sûr, un cd est vendu avec la méthode. Au départ il était vendu séparément (15$95), mais il semble que les éditions récentes contiennent systématiquement le cd. Nous ne savons pas si ce cd a, lui, été ré-enregistré, mais le son des tambours batá y est particulièrement étrange et peu agréable.
Autre petite faute de goût à notre avis: la pochette de la nouvelle version de la méthode est particulièrement peu avenante, par rapport à l'ancienne.

L'emploi des duolets pour les syncopes dans les toques ternaires est systématiquement évité, ce qui est à notre avis un bon point, car le duolet - s'il simplifie l'écriture - "applatit" et fausse quelque peu l'interprétation, en introduisant un notion de "liaison" entre les coups contenus dans le duolet, gommant ainsi la présence d'appuis éventuels pour mieux jouer la syncope, juste avant celle-ci.

Photo©T.W.Sanders


Plusieurs autres (petits) points négatifs sont, selon nous, à relever:
On décrit, photo à l'appui, une frappe sur okónkolo comme "okónkolo muff" (soit: "presionado" sur l'enú d'okónkolo - sic), à notre avis il s'agit-là d'une erreur d'édition puisqu'il n'en est nulle part fait mention dans l'ouvrage.
On décrit également, toujours photo à l'appui, la position de la main sur l'enú d'iyá ("iyá tone"), or cette position de la main est pour nous inexacte. Elle n'est pas tout-à-fait semblable à celle utilisée sur itótele pour ce "coup ouvert", mais jamais nous ne pourrons approuver cette technique, ni jamais n'avons-nous vu semblable technique !! (voir ci-dessous).
Nous savons parfaitement qu'il existe - ils sont quand même une minorité - d'excellents joueurs de batá utilisant la même technique sur iyá que sur itótele (pour l'enú), mais cette technique de jeu, nous le pensons probablement à raison, ne doit pas être montrée comme un modèle, et encore moins comme unique modèle. La position qui est la plus utilisée est celle que l'on peut voir sur la photo ci-dessous, sur laquelle on voit la main de notre ami José Fernández (la photo a été inversée, car José est gaucher, pour pouvoir être mieux comparée à celle venant de l'ouvrage d'Amira, c'est pour cela qu'il semble porter son ileke d'Orula à la main droite).

Photo©T.W.Sanders



Autre point qui nous semble négatif: on appelle le "toque de tambor" "drum and güiro" ou "bembé". Nous ne savons pourquoi, ce terme de "bembé" (qui concerne une autre musique rituelle yoruba et d'autre formes de tambours) est utilisé aux USA pour un toque de Santo (utilisant les batá). Les tambours de bembé ne sont sans doute pas arrivés jusqu'au États-Unis. Cette terminologie erronée est spécifique aux USA, et ne doit pas à notre avis être considérée comme valable pour Cuba. Dans cette conception terminologique américaine - la même qui emploie le terme
d' "afro-cubain" à tort et à travers pour la musique populaire et le latin jazz - on affirme souvent que "les batá sont sacrés, et le güiro profane", ce qui est absolument faux. Il faut, aujourd'hui que Cuba n'est plus un pays fermé comme dans les années soixante-dix, tenter de dépasser ces conceptions inexactes venant des USA, seule source d'information sur Cuba pour le monde occidental pendant trop longtemps. Il est vrai que cette méthode de batá se revendique américaine, peut-être est-ce alors pour des raisons de discordance politico-religieuse avec Cuba, qui sait?

Ce dernier point justifie peut-être également l'usage systématique de termes anglais pour nommer les différentes parties des toques:
-"entrance" pour "llamada",
-"section" pour "vuelta" ou "vire",
-"call for conversation" pour "llame".

Il justifie sans doute également l'absence d'histoire des bataleros cubains. Pablo Roche, Giraldo Rodríguez et Jesús Pérez y sont à peine cités, et encore, uniquement dans les notes de bas de page, pour expliquer quels musiciens jouaient sur le disque "Afro-Tambores Batá" (voir article plus loin). Aucun détail, donc, sur l'origine de ce style qui s'affirme américain. Les seuls bataleros cubains cités sont Francisco Aguabella, Julito Collazo et Orlando "Puntilla", vivant tous aux USA.

Photo© John Amira


Néanmoins, nous classerons cet ouvrage parmi les plus sérieux et les meilleurs existant - lui qui était le premier - et nous le recommandons particulièrement à toute personne, débutant ou non les l'apprentissage des tambours batá, car on y apprendra toujours quelque chose d'intéressant. On peut même parier que quelqu'un ayant travaillé ce style et allant jouer à Cuba surprendrait agréablement par son jeu beaucoup de joueurs de batá, surtout parmi les plus vieux, et il s'entendrait certainement dire: "tu joues comme tel vieux joueur de tambour jouait".

Il semble que cet ouvrage ait disparu du catalogue Melbay, mais il est toujours disponible sur le site de White Cliffs Media, au prix de 24$95 ICI.

On peut le trouver à moins cher sur d'autres sites, en cherchant un peu, à 18$95 (avec cd), ce qui laisse à penser qu'il soit en "fin de stock", voire en voie de disparition. Autre avantage qu'a cet ouvrage sur les autres: il est beaucoup moins cher…

1 commentaire:

Meester 'M' a dit…

hello Patrice,

Some time ago, i found a recent roadmap on Latin Pulse music inc. (not really a method) for playing the oru del igbodù.

(http://www.latinpulsemusic.com/albums/show/18).

I am now using it for studying purposes. I was wondering if you heard from this release and if so, what you think of it, as you already gracefully analyzed most of this kind of published material.

I also purchased the recent edition of John Amira's 'the music of Santerìa'. I can tell you that the CD that comes with it has not been re-edited nor recorded again. The sound of the batàs have kept their bizarre and low timbre.

I hope all is well. I wish you a great ending of the year and a certain and rich 2009!

cheers!

filip (stage percu à Neufchateau)